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Fiscalité : "Il faut taxer la fortune lorsqu'elle est immobile", assure Matthieu Pigasse

L'invité éco du jeudi 16 novembre est le banquier d'affaires et actionnaire au journal "Le Monde", Matthieu Pigasse. Il vient de publier aux éditions de l'Observatoire, le livre "La lumière du chaos".
Article rédigé par Isabelle Raymond
Radio France
Publié
Temps de lecture : 8min
Le banquier d'affaire, Matthieu Pigasse, invité éco du jeudi 16 novembre. (franceinfo)

Matthieu Pigasse est banquier d'affaires, ancien conseiller de Dominique Strauss-Kahn à Bercy. Il est également un homme de médias, actionnaire du journal Le Monde, propriétaire de Radio Nova et de l'hebdomadaire Les Inrocks. Il a aussi des participations dans plusieurs festivals, notamment, Les Eurockéennes de Belfort et Rock en Seine. Il vient de publier un livre aux Éditions de l'Observatoire qui s'intitule La Lumière du chaos, sous-titré, "Pour une société du possible."

franceinfo : Nous sommes entrés, dites-vous, dans une ère du chaos, et ce, notamment parce que le contrat social a été rompu. Qu'est-ce qui cloche à votre avis ?

Matthieu Pigasse : Il y a de très nombreuses choses qui clochent. Le chaos prend des formes aujourd'hui multiples. Tout d'abord, le chaos du monde, avec la guerre "là-bas", si je puis dire, en Ukraine et au Proche-Orient et le terrorisme, ici à Arras ou à Bruxelles. Il y a aussi le chaos climatique, bien évidemment, avec les bouleversements que l'on connaît. Et enfin, on a en effet, le chaos économique et social, c’est-à-dire une forme de dislocation de la société ici et qui s'explique selon moi par un facteur principal qui est un système capitaliste qui arrive à bout de souffle.

Comment est-ce que vous avez vu ce système capitaliste arriver à bout de souffle ? Quels sont les facteurs qui font qu'on est dans cette situation aujourd'hui ?

Il suffit de regarder autour de soi et on constate un arrêt de la croissance, une explosion des inégalités, un repli sur soi et une perte de sens collectif. Le capitalisme libéral, c'était la promesse d'un monde meilleur, l'idée que demain serait mieux qu'aujourd'hui pour nous-mêmes et pour nos enfants. C'était au fond le progrès. La réalité telle qu'on la voit aujourd'hui, est inverse. C'est le triomphe du parti de l'égoïsme. C'est un risque permanent de déclassement social, c'est une montée de la pauvreté et de la précarité. L'INSEE vient de sortir un rapport, montrant que la pauvreté avait encore progressé en France ces dernières années. 15 % de la population française vit sous le seuil de pauvreté, c’est-à-dire avec moins de 1 160 € par mois. Ça représente, pour avoir une idée, 10 millions de personnes. Donc les symptômes de ce système capitaliste à bout de souffle, ce sont les inégalités. C'est une bombe qui est placée au cœur de notre société avec l'hyper concentration du travail, l'hyper concentration du capital. C'est quelque chose qui aujourd'hui est inexplicable, injustifiable et insoutenable.

Vous êtes extrêmement critique envers les élites ?

Oui, je pense qu'il y a une faillite généralisée de toutes les élites. D'abord, une faillite des élites politiques qui ont démontré une forme d'impuissance et d'incapacité au cours des dernières décennies. Ensuite une faillite des élites médiatiques avec la responsabilité des journalistes et une faillite des élites judiciaires. Enfin, on a évidemment une faillite des élites économiques. Mais pour autant, ce n'est pas un livre négatif. Ce n'est absolument pas un livre pessimiste. Je ne suis pas moins un déclinologue ou un décliniste. Je pense qu'il est très important de le préciser. D'où d'ailleurs le titre du livre, La Lumière du chaos, c'est que je pense que de ce chaos peut sortir de la lumière.

Quand Emmanuel Macron est arrivé au pouvoir en 2017, il parlait de ruissellement de l'économie, ce n'est pas le cas ?

"Non, le ruissellement ne fonctionne pas. D'ailleurs, je pense même qu'il fonctionne en sens inverse dans la société."

Matthieu Pigasse

à franceinfo

Ce n'est pas une surprise pour moi parce que c'est mon quatrième livre et je vis ce fonctionnement, du système capitaliste et du monde depuis maintenant plusieurs décennies.

Un monde capitaliste auquel vous appartenez quand même puisque vous êtes banquier d'affaires.

C'est précisément parce que je suis un acteur de ce système, en effet, que je peux en parler comme je le fais. C'est précisément parce que je suis un acteur du système, que je le connais, que je le comprends et que je vois ces dysfonctionnements. Je vois ce sur quoi on doit agir à mon sens.

Quels changements et solutions à votre avis, faut-il initier très concrètement et rapidement ?

Le livre propose toute une panoplie de solutions qui sont parfois d'ailleurs individuelles ou personnelles, ce que j'appelle dans le livre, être soi, mais également collective, ce que j'appelle être ensemble. Moi, je vois deux grandes directions, mieux distribuer et mieux redistribuer. Mieux distribuer, c'est mieux partager la valeur ajoutée, notamment au profit des salaires. C'est également, distribuer un revenu minimum, c’est-à-dire un revenu universel. Mieux redistribuer, c'est aller taxer non pas le risque, il faut au contraire, à mon sens, favoriser et encourager la prise de risque, mais taxer les rentes et les situations acquises.

L'économiste Gabriel Zucman, qui dirige l'Observatoire européen de la fiscalité était à votre place il y a quelques semaines. Il veut mettre en place une taxe à 2% sur la fortune, est-ce que c'est une bonne idée ?

Ce que je pense qu'il faut faire, c'est taxer la fortune lorsqu'elle est immobile ou stérile. Ce que je propose d'ailleurs, c'est la création d'un impôt sur la fortune immobile, l'IFI, mais réinventé, revisité. Ce que j'appelle le capital immobile, c'est le capital qui n'est pas employé dans l'économie productive, qui n'est pas employé à des fins d'investissement ici en France, mais qui peut être investi. Par exemple, le capital qui est investi dans des produits financiers, des fonds de fonds à l'étranger ou aux États-Unis. Je pense que ce capital stérilisé et immobile, lui doit être taxé. À l'inverse. Il faut encourager l'investissement dans l'économie.

Vous savez ce que va vous répondre le gouvernement français actuel, ça fait fuir les talents et les grandes fortunes. Ce n'est pas une bonne idée.

Je ne pense absolument pas qu'il s'agisse d'une mauvaise idée. Je pense que favoriser le risque et pénaliser la rente, ça devrait au contraire attirer les entrepreneurs et les investisseurs.

Donc ça oblige les grandes fortunes à prendre cet argent et à le placer dans l'économie réelle plutôt que de le laisser dormir.

"Le problème, ce n'est pas de faire du profit, mais c'est son utilisation."

Matthieu Pigasse

à franceinfo

Donc il faut, faire en sorte que ce profit soit dirigé vers l'investissement et revienne plus au salarié et par exemple pénaliser le paiement de surdividendes.

Un autre dogme que vous voulez faire tomber, c'est celui de la dette publique et respecter les critères de Maastricht. L'économiste, Jean Pisani-Ferry veut financer les investissements verts par la dette publique notamment. Est-ce que vous êtes d'accord avec cette idée ?

Je pense que l'État n'est pas un agent économique comme un autre. L'État n'est pas un particulier ni une entreprise. Il a, à sa disposition une banque qui elle-même n'est pas une banque comme une autre qui est la banque centrale, qui est indépendante, et c'est d'ailleurs un des problèmes que je soulève parce que cette banque centrale devrait être à la disposition de l'État. Je ne veux pas être caricatural en disant qu'on peut créer la monnaie de manière illimitée, la jeter d'un hélicoptère et que demain tout ira mieux. En revanche, sous certaines conditions qui me semblent aujourd'hui réunies, il est possible de créer plus de monnaie et d'utiliser cette monnaie pour faire deux choses. D'abord, comme le dit Jean Pisani-Ferry, l'utiliser pour financer des grands plans d'investissement, par exemple sur la transition écologique, la construction d'écoles ou d'hôpitaux. Dans un deuxième temps, l'utiliser pour distribuer un revenu minimum universel.

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