Entreprises : faut-il revoir les exonérations de cotisations salariales qui coûtent 75 milliards d’euros chaque année ?

Antoine Bozio, directeur de l'Institut des politiques publiques, maître de conférences à l'EHESS, est l'invité de franceinfo. Avec Étienne Wasmer, il a remis au gouvernement un rapport sur les exonérations mises en place dans les années 90 pour favoriser les emplois au smic.
Article rédigé par Isabelle Raymond
Radio France
Publié
Temps de lecture : 8min
Antoine Bozio, directeur de l'Institut des politiques publiques, maître de conférences à l'Ecole des hautes études en sciences sociales. (RADIO FRANCE)

Actuellement, ces exonérations aux cotisations salariales coûtent 75 milliards d’euros par an aux finances publiques. Pour le budget 2025, le gouvernement va pouvoir s'appuyer sur un rapport qui s'est attaqué à ces exonérations accordées aux employeurs pour favoriser les emplois au smic. Ces dispositifs mis en place dans les années 90 sont-ils encore efficaces aujourd'hui ? Doivent-ils être supprimés ?

Elisabeth Borne avait commandé, il y a quelques mois, un rapport à deux économistes, Antoine Bozio et Étienne Wasmer pour lutter contre la "smicardisation de la France" et inciter les patrons à faire progresser leurs équipes. Pour Antoine Bozio, cela passe notamment par la suppression des effets de seuils, qui font que ces exonérations diminuent à mesure que le salaire augmente, ce qui n'encourage pas la progression de ces salaires.

franceinfo : Faut-il revoir ces dispositifs ? Faut-il s'attaquer à ce chantier ?

Antoine Bozio : En tout cas, c'est un chantier difficile et complexe parce qu’aujourd'hui, on a une multitude de dispositifs d'exonération de cotisations sociales. Donc, un premier point du rapport était de mettre à jour cette complexité, et les éléments qui permettraient de les simplifier. Le deuxième point très important, c'est qu'aujourd'hui, on a un barème très spécifique qui donne des exonérations très élevées au niveau du salaire minimum, qui ensuite sont retirés très, très vite. Un employeur qui souhaite augmenter le salaire d'un salarié au smic, perd donc des exonérations de cotisations sociales.

Ces exonérations existent depuis les années 90 pour créer de l'emploi, ont-elles effectivement un effet sur l'emploi ?

Oui, lorsqu'on a mis en place ces exonérations, ça a eu des effets sur l'emploi, à un moment où le chômage était élevé et où le coût du salaire minimum était particulièrement élevé. Aujourd'hui, on n'est plus dans la situation des années 90.

"En 2024, le taux d'emploi a augmenté, le marché du travail est parfois en tension, et la question de l'utilité de l'exonération, qui est très, très forte au niveau du smic, mérite d'être revue."

Antoine Bozio, directeur de l'Institut des politiques publiques

à franceinfo

Et le message principal du rapport, c'est de dire qu'aujourd'hui on a des éléments pour penser qu'on pourrait adoucir la pente de ce barème et favoriser à la fois les dynamiques salariales et les emplois au-delà de 1,2 smic. Plutôt que d'avoir cette concentration très forte du barème des exonérations au niveau du smic, qui pose un risque de laisser des salariés concentrés à ce niveau de rémunération sans des perspectives d'augmentation salariale.

Ces exonérations de cotisations favorisent donc ce qu'on appelle les trappes à bas salaires avec des salariés qui restent toute leur vie au niveau du smic ?

Une grande partie de la difficulté du débat scientifique est d'établir de façon formelle que c'est bien les exonérations qui causent cette concentration d'emplois au niveau des bas salaires. C'est loin d'être évident. Par contre, on a suffisamment d'évidence dans d'autres pays pour penser que le système actuel n'est pas optimal, et que si on arrivait à baisser cette prime pour favoriser les augmentations salariales, on n’aurait pas forcément d'effets négatifs sur l'emploi.

Donc un lissage des effets de seuil, puis suppression pour les salaires les plus élevés ? Aujourd'hui, les exonérations de cotisations vont jusqu'à 3,5 smic. Ce n'est pas nécessaire à votre avis ?

Oui on observe que les effets sur l'emploi à des salaires plus élevés sont très faibles, alors que pour les salaires plus bas, y compris au-delà du smic, les effets emplois sont avérés. Donc notre proposition, c'est de lisser cette courbe qui est aujourd'hui très compliquée, avec des seuils.

Un exemple de seuil pour un salaire à 2,5 smic : si on passe d'un salaire de 3 803 euros à 3 804 euros, c'est un gain de 10 euros par an pour le salarié, mais ça coûte 2750 euros supplémentaires à l'employeur. Ça semble hallucinant.

Là, c'est vraiment un cas aberrant et extrême de ce barème. Mais plus globalement, on a un seuil à 1,6 smic qui est très fort, c'est-à-dire qu'on retire très fortement entre un smic et 1,6 smic, puis on a un grand plateau, avant d'arriver à une sorte de grande chute, que vous avez mentionnée, où là, vraiment, il y a un saut en termes de surcoût du travail, simplement pour augmenter d'un euro le salaire brut.

À votre avis, les exonérations de cotisations doivent être supprimées au-delà de combien ?

Dans le scénario principal du rapport, on propose de faire un barème unique, lissant finalement les exonérations de cotisations qui partent du niveau maximal au niveau du smic et qui s'arrêtent à 2,5 smic. La façon dont on a conçu ce barème, c'est de le penser à budget constant. Comment peut-on, à budget constant, à la fois améliorer l'emploi, améliorer la dynamique salariale et faire en sorte qu'on ait plus d'emplois à des salaires plus élevés, qui sont susceptibles aussi de rapporter plus à la Sécurité sociale ?

"Des salaires plus élevés vont permettre d'avoir des cotisations plus importantes pour les finances publiques."

Antoine Bozio, directeur de l'Institut des politiques publiques

à franceinfo

Mais le patronat va objecter que le coût du travail va augmenter pour les salaires au-delà de 2,5 smic, dans l'industrie notamment ?

Dans ce barème-là, il y a deux endroits dans la distribution des salaires où le coût du travail augmente un petit peu : au niveau du smic, où ce sont des secteurs très intensifs en travailleurs peu qualifiés, comme les secteurs de la propreté ou du gardiennage. Et à l'inverse, dans les secteurs plus intensifs en personnel beaucoup plus qualifiés qui verront la perte des exonérations.

Mais l'industrie, de façon intéressante, n'est pas du tout dans ces deux situations perdantes. Parce que l'industrie a des salariés finalement au niveau du salaire médian, un niveau de 1,6 smic. Elle bénéficiera donc de ce nouveau barème. Et il y aura un effet d'équilibrage au niveau de chaque entreprise, entre des salariés qui auront des hausses de coût du travail, et d'autres des baisses du coût du travail. Si on atteint un effet nul sur le coût du travail global au niveau de l'entreprise, on n'attend pas d'effets emplois fortement négatifs. Pour autant, on aura bien redonné la dynamique salariale, et permis la montée en gamme de notre tissu productif.

Vous avez remis votre rapport de 300 pages au service du Premier ministre Michel Barnier, mercredi 2 octobre. Qu'espérez-vous ?

À court terme, on espère que ce travail aura un effet dans le débat parlementaire qui s'annonce, pour la question budgétaire et pour la loi de financement de la sécurité sociale. On espère permettre aux députés de tous bords de réfléchir à la bonne façon d'améliorer la situation, pour le marché du travail et les salariés, en revoyant le barème des exonérations.

Et à plus long terme, le rapport a aussi des éléments qui ne visent pas à être mis en place tout de suite, mais à faire réfléchir sur la façon dont on peut simplifier, rendre plus lisible le financement de notre protection sociale. Parce qu'il y a un enjeu très important à long terme d'arriver à trouver les moyens de financer la protection sociale à laquelle on est attaché, sans que ça ait des effets négatifs, à la fois sur l'emploi et sur la productivité de notre économie.

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