Crise alimentaire : "C'est une tempête qui va durer", estime Pascal Lamy, président de l’Institut Jacques Delors
Sur fond d'inflation galopante et de guerre en Ukraine, des problèmes d'approvisionnement se posent pour des denrées aussi essentielles que le blé. Une crise alimentaire se prépare, mais il y a des moyens de l'éviter selon Pascal Lamy, ancien directeur de OMC et coordinateur des instituts Jacques Delors.
"On est à la dernière limite de ce que l'on pourrait faire" pour éviter la crise alimentaire, alerte jeudi 26 mai sur franceinfo Pascal Lamy, président de l’Institut Jacques Delors, face à l'inflation causée notamment par l'invasion russe en Ukraine. Pour l'ancien directeur de l'Organisation mondiale du commerce, il faut "clairement" craindre une crise alimentaire, "c'est une tempête qui va durer."
franceinfo : Faut-il craindre une crise alimentaire?
Pascal Lamy : Oui clairement. Le monde traverse en ce moment une série de crises simultanées, une espèce de tempête qui va durer. C'était probable, c'est en train d'arriver, et on est à la dernière limite de ce l'on pourrait faire pour l'éviter. C'est possible, il y a dans le monde suffisamment de nourriture pour nourrir ceux qui ont faim, à condition qu'on les aide à payer l'addition parce que sur un certain nombre de denrées alimentaires, les prix ont augmenté de 30 à 40% pour des raisons antérieures à l'invasion de l'Ukraine, mais aussi du fait que ces deux pays sont des gros producteurs notamment de céréales. Et il faut aussi favoriser les acheminements que les Russes ont bloqués. Cette crise est à nos portes, mais il y a moyen, avec une bonne coordination nationale de traiter cette question.
Le gouvernement français tente de répondre à l'inflation avec la préparation d'une loi sur le pouvoir d'achat pour aider les ménages à payer l'addition, c'est suffisant ?
C'est une bonne réponse, à condition que les aides en question soient ciblées sur les personnes qui en ont besoin. Ce sont les plus faibles qui dérouillent, ce sont eux qu'il faut aider provisoirement, en espérant qu'on fait aussi ce qu'il faut pour que cette hausse des prix ne dure pas. Il faut à la fois du court terme, du moyen terme et du long terme. Ce type de crise peut se reproduire à l'avenir, il faut aussi penser investir davantage dans des productions, faire de l'innovation, sans pour autant abandonner le verdissement de notre modèle agro-alimentaire. C'est une discussion que l'on a eu avec les syndicats agricoles allemands et français, et ils réagissent de manière différente. Les syndicats français nous disent "il faut laisser tomber le verdissement, il faut produire plus", quand les allemands répondent "on est engagé dans un chemin de verdissement, on peut bouger un peu mais il ne faut pas lâcher". Il y a un point sur lequel tout le monde est à peu près d'accord : il faut débrancher un peu la production qui va vers les biocarburants pour la rebrancher sur de l'alimentation.
L'Europe va-t-elle faire face ?
Je crois qu'elle s'avance dans cette direction. C'est la commission européenne qui achète du gaz américain pour négocier correctement les prix. Si l'Europe achète du pétrole ensemble, comme elle achète du gaz ou des vaccins, alors je pense qu'elle démontre son utilité.
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