Agriculteurs en colère : "Dans toutes les réunions commerciales, il faut la présence de producteurs et de consommateurs", d'après Nicolas Chabanne
L'invité éco de franceinfo se trouve au Salon de l'agriculture, mardi 27 février, une édition particulièrement mouvementée, sur fond de crise agricole. Nicolas Chabanne est le fondateur de C'est qui le Patron ?!, une marque au modèle économique un peu particulier, qui dit rémunérer le producteur au juste prix.
franceinfo : "C'est qui le Patron ?!" est une marque créée en 2016. Elle dit rémunérer le producteur au juste prix. Vous avez entendu la proposition d'Emmanuel Macron, ici même au Salon de l'Agriculture, de mettre en place des prix plancher. Cela vous semble-il être une bonne idée ?
Nicolas Chabanne : C'est vraiment la bonne direction et la bonne voie. Tout ce qui va permettre à un moment donné de prendre en considération la rémunération juste des producteurs, il faut s'y intéresser. Après, dans la mise en place, ce n'est pas aussi simple que ça parce qu'il y a des particularités.
"Il faut que ce soit vraiment un prix minimum qui ne devienne pas finalement une forme de plafond."
Nicolas Chabanneà franceinfo
Mais dans ce cas-là, il vaut mieux saluer le fait que le chef de l'État s'intéresse prioritairement à ce sujet, trace une voie et puis nous, avec notre expérience de sept ans, on peut expliquer comment ça marche quasiment à coup sûr.
Pouvez-vous décrire votre modèle en quelques mots ?
On est une coopérative de consommateurs. C'est un modèle de collectif qui s'adresse individuellement à chaque producteur. Finis les experts et les visions un peu technocratiques de la rémunération des producteurs. Nous, consommateurs, on veut que ce soit le producteur qui le dise.
Ce n'est pas un prix plancher, ça ?
Oui, mais en créant un juste revenu, vous créez naturellement un prix plancher. Un prix plancher ne crée pas forcément un juste revenu. Donc en fait, en partant de justes revenus, vous allez vous retrouver avec une notion clé, c'est la vérification que c'est bien le cas. Parce que si demain on crée un prix plancher, qui le crée ? Qui vérifie auprès des producteurs que ça ne devient pas, comme vous le dites, un prix plafond ?
"Nous, consommateurs, on se rend compte aujourd'hui que le sort des producteurs, qui disparaissent dans nos campagnes parce qu'ils n'arrivent pas à survivre, c'est notre destin à nous."
Nicolas Chabanneà franceinfo
Donc il y a une nouveauté depuis quelque temps, c'est qu'on est prêt à se mobiliser, pour nous assurer qu'ils gagnent leur vie. Et c'est comme ça que, durablement, on pourra transformer les choses.
Vous êtes venus avec un pack de lait. Les consommateurs, que vous représentez, ont identifié un juste prix pour ce pack de lait ?
Ce ne sont pas les consommateurs qui ont décidé du prix, mais uniquement les producteurs. C’est-à-dire qu'on a demandé à l'ensemble des producteurs par un vote. Vous avez des coûts de production qui montent. Nous, on ne négocie pas en tant que consommateur avec les producteurs. On veut qu'ils gagnent leur vie pour que cette phrase ne soit ni de la com', ni du marketing, mais une réalité. Et ce sont les producteurs, depuis le début, qui fixent la rémunération, qui devient celle qui est la leur, à partir du moment où on achète le produit.
Et ça devient le prix "conseillé" par le consommateur. C'est ce qui est indiqué sur votre pack de lait.
On a marqué sur le pack "prix voté conseillé", mais les prix sont libres. On a en fait créé quelque chose qui permet d'éviter que les prix, par la concurrence entre enseignes, partent vers le bas. Parce qu'à la fin, quand les prix baissent, quand les promotions se mettent en marche, ce n'est pas le magasin qui vous offre des centimes, c'est le producteur.
Avec C'est qui le Patron ?!, arrivez-vous à imposer un juste prix au distributeur final ? On rappelle que vous êtes quand même distribué dans les plus grandes enseignes, comme Leclerc, Auchan, etc. Pourquoi arrivez-vous à faire ce que les autres n'arrivent pas à faire ?
Parce que nous, nous sommes des consommateurs. Dans cette aventure, il n'y a pas de chiffres et de stratégies financières. Quand vous êtes dans un rendez-vous avec un distributeur, vous venez en tant que consommateur. On est 16 millions. Vous dites, voilà, le prix à 1,27 euro, on l'achètera. C'est devenu d'ailleurs la brique la plus vendue de France. Le distributeur n'a pas à être plus royaliste que le roi. On est quand même bien placé pour savoir ce qu'on peut faire au niveau de nos achats. Et en ayant réécrit toute l'histoire, le magasin a sa part, le fabricant a sa part, tout est très raisonnable, mais le producteur est protégé.
C'est-à-dire que vous arrivez à vendre le pack de lait au prix que vous avez estimé juste auprès du distributeur. Libre à lui ensuite de faire des promotions, de le vendre plus bas ou plus cher, parce que moi, je l'ai vu plus cher votre pack de lait.
Autre bonne question pour comprendre. Il n'y a jamais de promotion sur cette brique de lait, parce que ça créerait effectivement une économie par le bas qui risquerait à un moment donné d'impacter le producteur. Si vous l'avez vu quelques fois plus cher, on a un chiffre de 98% de magasins qui suivent le prix voté conseillé.
Revenons à notre débat principal : cette loi Egalim 4, qu'appelle de ses vœux Bruno Le Maire. À quoi doit-elle ressembler selon vous ?
Elle doit ressembler à ce qu'elle a été au départ. Ça a été inspiré de la démarche des consommateurs. Je crois qu'on va enfin être entendus, pour que les acteurs qui gèrent la notion de prix et d'achat aux producteurs puissent le faire différemment.
"Il faut que, dans toutes les réunions commerciales, il y ait les acteurs qui soient les seuls capables de redistribuer les cartes différemment : le producteur et le consommateur."
Nicolas Chabanneà franceinfo
Il faut qu'on s'invite au moment où les grandes marques choisissent de donner un juste prix ou pas au producteur. Là, on lèvera la main en disant "Monsieur La grande marque", c'est avec mon argent que vous faites tout ça. On veut que ce soit différent.
Dernière question, Nicolas Chabanne, à votre avis, si cette loi évolue dans le sens que vous souhaitez, cela permettrait-il que les agriculteurs vivent dignement de leur travail ?
On le voit humblement, il y a 100 millions de produits solidaires vendus par an en France, dans le cadre de cette démarche. C'est une progression constante. C'est la brique de lait la plus vendue et celle qui progresse le plus. Au-delà des chiffres, ce sont des sourires côté producteurs. Il faut croire dans ce bon sens qui rassemble producteurs et consommateurs.
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