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Jeunes Français accros aux drogues et aux écrans : "La France doit protéger ses mineurs"

Michel Reynaud, psychiatre, addictologue, président du Fonds Actions Addictions et concepteur du site Addict’Aide était l'invité de franceinfo vendredi 8 juin 2018.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5 min
Des gens boivent de l'alcool sur les bords du Rhône à Lyon, le 18 juillet 2018. (JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP)

Les jeunes Français sont de plus en plus accros, aussi bien aux drogues qu'aux écrans. Les conclusions d'une étude Ipsos dévoilée vendredi 8 juin 2018 sont sans appel : les niveaux de consommation sont inquiétants. Parmi les 14 - 24 ans, 3% des mineurs auraient déjà consommé de la cocaïne ou encore de l'ecstasy.

Michel Reynaud, psychiatre, addictologue, président du Fonds Actions Addictions et concepteur du site Addict’Aide (plateforme lancée en 2016 qui propose de tester son comportement face à l'alcool ou à la cigarette), met les pouvoirs publics face à leurs responsabilités : "La France doit protéger ses mineurs". Il appelle à revoir la première mouture du plan de prévention voulu par le gouvernement.

franceinfo : Les résultats de cette étude vont-ils au-delà de ce que vous craigniez ?

Michel ReynaudC'est différent de ce que l'on craignait. On confirme les consommations élevées que l'on connaît d'alcool, de tabac et de cannabis, y compris chez les jeunes femmes. Mais les éléments nouveaux, c'est l'augmentation, à peu près le double par rapport aux dernières enquêtes, des drogues festives : cocaïne, GHB, ecstasy. Un rapport hier montrait que dans l'Europe entière, la cocaïne augmentait. Donc, on a saisi qu'il y avait quelque chose. Et nous nous sommes aussi intéressés aux écrans. Les gens, la famille, les perçoivent comme problématiques. On a pu objectiver pour plus de 20% des jeunes des consommations de plus de cinq heures de réseaux sociaux ou de jeux vidéo. Surtout, c'est l'envahissement par le porno. C'était une tâche aveugle dont on ne parlait pas. Dans le porno, ce qui est impressionnant, c'est que la plupart des jeunes y ont touché, mais surtout 9% y vont tous les jours et 5% qui y vont plusieurs fois par jour. On a retrouvé une notion que les spécialistes connaissent bien : les drogues sont des marqueurs sociaux. Les jeunes des milieux les plus défavorisés, dont le foyer vit avec le SMIC, consomment à peu près deux fois plus que les jeunes dont les parents touchent plus de 3 000 euros par mois. C'est vrai pour le tabac, le cannabis, mais aussi les jeux d'argent, le porno. Dans la souffrance sociale, l'une des façons de l'évacuer, c'est la prise de produits.

Vous parliez des drogues festives comme l'ecstasy et le GHB, dont les effets sont minimisés parmi les jeunes. Ils n'ont pas forcément conscience du danger qu'ils encourent en prenant ce type de drogue ?

On a évalué la perception du danger des jeunes. Ce qui est embêtant, c'est qu'ils la connaissent. C'est-à-dire qu'ils savent qu'avec l'alcool, le tabac, le cannabis, la cocaïne, ils ont de fortes chances de devenir dépendants, d'avoir des accidents... Ils ont l'information et tant mieux. Mais ça prouve qu'il faut une autre stratégie, qu'il faut compléter une fois que l'information est passée. Il faut une stratégie active. Dans cette enquête, on se rend compte que les adultes, en général, évaluent à peu près bien les consommations des jeunes. Mais quand on interroge les parents des jeunes de 14 à 24 ans, ils sous-évaluent les consommations régulières et importantes. C'est-à-dire qu'ils disent que leurs enfants boivent de l'alcool, ont pu fumer un pétard, sont allés voir un porno... sauf qu'ils évaluent les consommations d'à peu près la moitié de ce que les jeunes déclarent dans la consommation hebdomadaire. Ils ne veulent pas percevoir que certains jeunes consomment beaucoup. En plus, les enfants ne le montrent pas beaucoup. C'est difficile de se dire que son gamin consomme. Donc, quand on est parent, il faut être particulièrement attentif et vigilant. C'est d'ailleurs ce que demande la population française.

Le gouvernement doit annoncer un plan national de mobilisation contre les addictions. Qu'est-ce que vous en attendez ?

Qu'ils prennent conscience que les parents, mais aussi les Français, sont plus en avant que les pouvoirs publics et que les députés en général. C'est-à-dire que le plan prévention qui avait été annoncé ne nous convenait pas du tout. Il était en particulier pour l'alcool, qui est la drogue la plus dangereuse, très très en-deçà de ce qui peut être une prévention. On l'a dit et redit. Donc il y a des concertations. On a distribué l'enquête, avec la fondation Gabriel Péri et la Fondation pour l'Innovation Politique, à tous les parlementaires et aux ministres et cabinets concernés. On espère qu'ils percevront qu'il y a une demande vraiment importante de protection de la jeunesse. L'accès est extrêmement facile. 90% des jeunes savent comment accéder au porno. Avoir de l'alcool, du tabac, des jeux d'argent même quand on est mineur... 60% savent comment se procurer cocaïne et ecstasy.

La base, c'est donc déjà de rappeler la loi ?

Oui. On ne fournit pas d'alcool à un mineur, ni de tabac, ni de jeux d'argent. C'est un ensemble, une politique cohérente. La France doit protéger ses mineurs et doit se mobiliser pour ça. Cela implique aussi de protéger du cannabis. Il n'est pas sûr que la contravention suffise. Il y a une gestion d'un autre type qui doit être mise en place. Il faudrait une politique pour l'ensemble des produits susceptibles d'être nocifs. Mais il faut lancer un débat sur les écrans. Les Français perçoivent qu'il y a un problème. Les écrans sont tout récents, donc on n'est pas habitué, il faut apprendre à gérer ça. Le contrôle parental ne fonctionne pas pour le porno. Le porno est accessible de partout, c'est la troisième industrie mondiale. C'est ce qui est le plus recherché sur Google. En France, on a du mal à en parler, j'espère que ça permettra de dire qu'il faut qu'on prenne un certain nombre de mesures. Il faut travailler avec les fournisseurs d'accès. Rendre beaucoup plus facile l'interdiction. Obliger à s'identifier quand on va sur ces sites. A partir du moment où une société le veut, elle peut faire pression.

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