Le magazine La Recherche a primé une étude sur la disparition des abeilles
Depuis une quinzaine d'années, chaque hiver dans l'hémisphère nord, bon nombre de ruches se vident de leurs habitantes. Ce phénomène reste encore en partie inexpliqué. On a incriminé des maladies, la dégradation des habitats et aussi bien sûr les pesticides. Mais toutes ces causes ne semblent pas pouvoir à elles seules expliquer un déclin aussi important des populations d'abeilles. Alors, pour en savoir plus sur l'impact réel des pesticides, une équipe de chercheurs de l'INRA a décidé de ne pas se contenter d'études menées en laboratoire mais d'aller observer les abeilles sur le terrain et de les suivre individuellement.
Pour suivre individuellement chaque abeille, ils ont accroché une toute petite puce radio (une puce RFID) sur le dos de plus de 650 abeilles. Ils ont aussi installé à l'entrée de la ruche un boitier permettant d'enregistrer les allées et venues des butineuses équipées de puces.
Les scientifiques ont ensuite fait ingurgiter à la moitié des abeilles du thiaméthoxame, un pesticide couramment utilisé pour protéger les cultures céréalières et qui malheureusement se retrouve dans le nectar des fleurs dont se nourrissent les abeilles. Dans l'expérience, la dose de pesticide administrée aux abeilles n'était pas suffisamment importante pour que les insectes en meurent. Autrement dit, si les scientifiques s'étaient contentés de mener cette expérience en laboratoire, le pesticide aurait pu, en si petite quantité, sembler inoffensif.
Pour revenir à l'expérience sur le terrain, les scientifiques ont relâché leurs abeilles à un kilomètre de la ruche. Et grâce au boitier installé à l'entrée de la ruche, ils ont pu savoir quels insectes avaient réussi à rentrer. Résultat : les abeilles ayant ingérés du thiaméthoxame ont été 2 à 3 fois plus nombreuses à se perdre en chemin et à ne jamais retrouver la ruche. Elles en sont mortes puisque ces insectes sont incapables de survivre hors de leur colonie. Ces observations complétées par d'autres, démontrent que le thiaméthoxame, même à faible dose, a un effet néfaste sur les capacités d'orientation des abeilles. Et sacrément néfaste puisque selon les simulations des chercheurs en moins de quatre jours la population d'une ruche peut-être divisée par deux ou trois.
Moralité : les expériences menées en laboratoire ne suffisent pas pour juger de la nocivité réelle d'un pesticide.
Le thiaméthoxame reste pourtant toujours utilisé en Europe aujourd'hui mais, plus pour longtemps, puisqu'à partir du 1er décembre prochain, l'emploi de ce pesticide ainsi que celui de deux autres également suspectés de jouer un rôle dans la disparition des abeilles, seront suspendus pour deux ans en Europe. Les travaux des chercheurs de l'INRA ont certainement joué un rôle dans cette décision.
Les lauréats de ce prix ont été choisis par un comité d'une dizaine de scientifiques de tous horizons.
Il a d'abord effectué une présélection. Et ce sont ensuite des journalistes de La Recherche qui ont désigné les 12 équipes lauréates. Cette année, ils se sont montrés particulièrement sensibles aux recherches menées sur l'impact des activités humaines sur les écosystèmes puisqu'ils ont aussi récompensé une étude portant sur la migration d'oiseaux et de papillons liée au réchauffement climatique. Ces travaux réalisés entre autre par des chercheurs de l'institut des sciences de l'évolution de Montpelier, indiquent que le réchauffement de un degré en moyenne observé en Europe depuis 1990 a conduit de nombreuses espèces à migrer vers le Nord. Le problème c'est qu'elles ne l'ont pas fait toutes à la même vitesse. En 20 ans, les zones d'habitats des papillons se sont déplacées de 114 km alors que celles des oiseaux n'ont migré que de 37 km. Ce décalage déstabilise les écosystèmes. Des espèces qui devraient interagir entre elles ne se trouvent plus au même endroit. Certains oiseaux n'ont plus accès aux chenilles (donc aux papillons) dont-ils se nourrissaient. Cette étude s'appuie sur des observations faites durant 18 ans, de près de 9.500 communautés d'oiseaux et plus de 2.000 communautés de papillons. Pour suivre autant de populations d'animaux dans toute l'Europe, les scientifiques n'ont pas utilisé de puce RFID cette fois. En fait les chercheurs se sont appuyés sur des données recueillies par plus de 10.000 bénévoles sur tout le continent. Un très bel exemple de science participative.
Ces études et toutes les autres récompensées lors de la 10e édition du Prix La Recherche sont à découvrir dans le magazine La Recherche daté du mois de novembre qui vient de paraitre.
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