Olivier Gourmet dans la série "De grâce" sur Arte : une incursion dans l’univers des dockers du Havre, cet "endroit impénétrable"
Olivier Gourmet est un comédien belge, révélé au grand public par le film de Jean-Pierre et Luc Dardenne : La promesse en 1996. C’est en 2002 qu’il reçoit le prix d'interprétation à Cannes pour un autre film des deux frères belges : Le fils. Récemment vu dans la série Sambre de Jean-Xavier Delestrade, sur France 2, où il jouait le rôle d’un commandant de police, Olivier Gourmet incarne dans la nouvelle série d’Arte, un docker syndicaliste. la diffusion de De Grâce commence jeudi 8 février 2024 en prime time. C'est un thriller psychologique mêlant luttes intestines entre dockers, misère sociale et trafic de drogue, sur fond de rédemption et, bien sûr, de grâce.
franceinfo : On ne sait pas dans quelle catégorie mettre cette série. Un polar, une tragédie, un drame psychologique, sociétal... Il y a beaucoup de choses qui se mélangent. L'explosion de la famille, la misère sociale, le trafic de drogue, l'esclavage moderne. Comment qualifiez-vous De Grâce ?
Olivier Gourmet : Par tous les mots que vous venez d'énoncer. Je pense que chaque spectateur se fera son histoire et que celle-ci continuera à faire écho après la vision, parce que de fait, ça traite de tous ces sujets, la traite des blanches, le trafic de drogue, une tragédie familiale, la malédiction, la rédemption, le bien et le mal, la grâce, tout ce qui touche l'être humain aujourd'hui. Et plus particulièrement dans la société ouvrière des dockers sur le port du Havre, donc une "famille ouvrière rattrapée par son destin, par sa malédiction", comme le dit le père.
Et puis ce trafic de drogue qui gangrène, de plus en plus, le port du Havre, parce que la nécessité économique de certaines personnes, aujourd'hui, en France et ailleurs dans le monde, est difficile, compliquée. Donc nécessité parfois fait cause.
"C'est une série avec plein de couches, mais c'est d'abord un thriller, une enquête policière. Il y a du suspense."
Olivier Gourmetà franceinfo
C'est vraiment très dense. Vous êtes Pierre Leprieur, docker du Havre, syndicaliste, figure respectée pour sa droiture. Mais, on va le découvrir, il lui aussi a des secrets, une vie cachée. C'est un personnage complexe, torturé avec plein de zones d'ombres et forcément intéressant à jouer pour un acteur ?
Forcément. Sans révéler ce qui se passe, parce que ce serait spoiler la série, quand le spectateur saura ce que cet homme a traversé, ce qu'il a vécu, ce qu'il a fait, inévitablement, on peut se poser des questions. Comment cet homme pouvait encore vivre avec sa famille, dans sa famille et faire ce qu'il faisait, c'est compliqué. Moi, évidemment, ça m'a interpellé. Comment fait-on avec un tel passé, un tel vécu, une telle vie derrière soi pour "être" encore ? Et c'est la force de l'âme humaine, la force de l'être humain, d'exister, de trouver une porte de sortie, une grâce, une rédemption et qui lui permet de survivre et puis après d'essayer de sauver sa famille. C'est sa raison d'être. C'est sauver, ce qui peut l'être encore.
Comment on entre dans une telle personnalité à la fois charismatique et imposante, mais aussi taciturne et silencieuse ?
Il y a la mise en scène et le réalisateur qui sont là pour mettre ça en exergue, inévitablement, parce que dès l'écriture, c'est là, c'est présent. Comment raconter un personnage taiseux ? C'est surtout aussi par le corps. Moi, j'adore la photographie. Je peux regarder une photo pendant plusieurs minutes quand elle me touche, c'est uniquement un visage, un corps, une position, une façon d'être, une façon de bouger et cela raconte déjà énormément de choses, parfois plus que les mots.
Vous êtes-vous reconnu quelque part dans votre personnage ?
Alors je suis très loin de sa réalité, de ce qu'il a vécu, mais sur certaines valeurs, oui. Sur la transmission, sur l'honnêteté, l'intégrité, le respect, l'amour.
Vous connaissiez l'univers des dockers ?
Comme je m'intéresse à beaucoup de choses, par les informations et les médias qui en parlent, par des reportages, des documentaires, je connaissais un peu le milieu. Quand j'étais plus jeune, j'avais un copain qui travaillait sur les docks à Anvers, donc j'avais déjà quelques informations et quelques réalités de leur vie sociale.
Pour vous préparer, avez-vous rencontré des dockers du Havre ?
Non, parce que c'est un bastion. C'est un endroit impénétrable. Ils n'ont pas voulu. Quelque part, la série élève le docker parce qu'elle raconte son histoire de manière objective et de ce qui fait que, aujourd'hui, on peut se retrouver confronté à cette gangrène qu’est le trafic de drogue. On peut comprendre socialement, économiquement, beaucoup de choses, mais ils ont refusé qu'on tourne à l'intérieur du port du Havre.
Vous avez tourné à Anvers.
On a dû tourner à Anvers, en Belgique, pour les scènes sur le port.
De manière plus générale, qu'est-ce qui vous fait accepter un rôle ?
Il y a le propos, ce que ça raconte, sur quoi ça met le doigt, sur quoi ça sensibilise aujourd'hui le spectateur. Ça m'est arrivé de faire des films plus légers, où il y a que du divertissement parce que le divertissement, c'est aussi un bon motif de faire un film, de divertir les gens.
"Je remarque qu'en tant que comédien, mon plaisir, c'est de décortiquer l'âme humaine. Ça me touche. Les gens me touchent, leur réalité me touche."
Olivier Gourmetà franceinfo
Je préfère me confronter à un personnage avec une palette psychologique très intense et forte, qu'à un personnage plus caricatural où il y a moins de couleurs, de palettes, d'émotions à jouer.
Vous étiez à l'affiche de la formidable série Sambre qui retraçait le véritable parcours criminel d'un violeur en série qui a sévi pendant plus de 30 ans. C'était surtout l'occasion de montrer comment la parole des femmes a été bafouée pendant très longtemps, comment les viols étaient minimisés. Vous étiez le commandant de police qui reprenait toute l'affaire depuis le début. Un spécialiste de ce qu'on appelle les cold cases. La série a connu un gros succès public et critique. C'est un rôle qui restera important dans votre carrière ?
La série restera importante parce que, comme vous le dites, c'est la façon dont Jean-Xavier de Lestrade a envisagé, a posé le regard sur les victimes et leur a donné la parole. C'est surtout centré sur le témoignage et le regard de victimes par rapport à ça. C'était nouveau. C'était important de le faire de cette façon-là.
Y'avait-il de votre part une envie de sensibiliser le public ?
Mais comme je le disais, dans mes choix, souvent je me dis : tiens, ça touche quelque chose de notre société aujourd'hui, donc c'est intéressant. Mais je ne suis qu'un des acteurs. C'est le réalisateur, le scénariste, qui au départ s'emparent du sujet. Ils le font souvent, en tout cas, que ce soit sur De Grâce ou Sambre de façon originale, singulière et profonde.
Vous tournez pour le cinéma, pour la télé, vous jouez au théâtre. Pourtant vous êtes un acteur plutôt discret, dont on n'associe pas forcément le nom au visage. Rêvez-vous d'un grand rôle qui vous rendra ultra populaire ?
Ce n'est pas important. On dit toujours que les acteurs ont un ego assez surdimensionné. Je n'ai pas l'impression de me retrouver là-dedans. Je n'ai jamais fait ce métier pour être aimé. Après, quand on reçoit des éloges, évidemment, ça fait plaisir et je les accepte avec beaucoup de plaisir. Mais je préfère rester comme ça. Avoir une vie normale. Je suis bien comme ça. Pourvu que ça dure !
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