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Maxime Audinet, auteur d'un livre sur la chaîne "Russia Today" : "RT France a aujourd'hui plus de mal à trouver sa place dans le paysage médiatique"

Le chercheur, docteur en études slaves, et spécialiste de la Russie, signe "Russia Today, un média d'influence au service de l'État russe", aux éditions de l'INA.

Article rédigé par Matteu Maestracci
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7min
Maxime Audinet, auteur de "Russia Today, un média d'influence au service de l'État russe" aux éditions de l'INA. (FRANCEINFO / RADIOFRANCE)

Invité de franceinfo mardi 16 novembre, Maxime Audinet a fait du sujet de sa thèse un ouvrage, et il est d'abord remonté aux origines du lancement de la chaîne Russia Today d'information internationale et en continu, en décembre 2005.

Franceinfo : dans quel contexte est née la chaîne Russia Today ?

Maxime Audinet : C’est une chaîne à l’époque anglophone qui est lancée à l’initiative du Kremlin, de l’administration présidentielle. dans un contexte très particulier pour la politique étrangère russe. L’espace post-soviétique est traversé par une série de révolutions que l’on appelle les révolutions de couleur, notamment la révolution orange en Ukraine en 2004.

L’autre contexte c’est l’élargissement de l’Union européenne et de l’Otan à l’Europe de l’Est. Dans ce double contexte, les élites russes prennent conscience de la nécessité de repenser leur dispositif d’influence, de reforger un ensemble d’instruments, notamment médiatiques, et c’est dans ce contexte là que RT, à l’époque Russia Today, est créée.

Quelle est l'ambition de RT (nouveau nom de la chaîne) et à qui s'adresse-t-elle ?

Au début, c’est vraiment une chaîne centrée sur la Russie avec une démarche très classique de soft power, c’est-à-dire propager une image positive, mieux faire connaître la Russie. Ce qui est intéressant, c’est qu’à l’été 2008, lors du conflit en Ossétie du Sud entre la Russie et la Géorgie, la couverture très polarisée des évènements, d’une part par les médias occidentaux, d’autre part par la Russie, est très mal vécue par les élites russes. RT, parallèlement à son internationalisation, puisque vous avez des chaînes qui ouvrent à l’étranger, change complètement de ligne éditoriale, pour s’imposer non pas comme un média russe international mais comme une source globale alternative dans cet environnement médiatique international.

L’idée ce n’est plus seulement de parler de la Russie mais d’apporter un regard étranger

Maxime Audinet

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Sur le plan éditorial, si on prend deux conflits importants menés par la Russie que sont celui avec la Géorgie en 2008 puis avec l'Ukraine dans le Donbass en 2014, le point de vue donné à l'antenne est-il forcément la ligne moscovite sans nuances ?

Il y a une certaine subtilité dans cette chaîne dans la mesure où l’on n’est pas sur ce qu’on pouvait observer à l’époque soviétique avec Radio Moscou, c’est-à-dire que vous n’avez pas une rigidité, une retranscription stricte du discours officiel.

En revanche, sur des évènements stratégiques pour la Russie, notamment les deux évènements que vous avez mentionnés, c’est vrai qu’il y a un alignement très clair sur les positions officielles. Il y a des reprises d’éléments de langage, par exemple l’expression de l’annexion de la Crimée n’est pas utilisée par le pouvoir russe et n’est jamais employée directement sur une chaîne comme Russia Today.

L'autre mantra de la chaîne est de proposer un autre point de vue, une autre opinion, où les opinions sont présentées comme des vérités alternatives. Est-ce qu'après l'élection de Donald Trump par exemple en 2016, et ses charges récurrentes contre les fake news, cette idée a trouvé un écho plus fort auprès du public de RT ? 

Aujourd’hui, c’est quelque chose d’extrêmement répandu cette approche dite alternative, il y a beaucoup de médias qui le font. Mais à l‘époque où RT se lance, il y a moins de médias, surtout à l’international. La seule chaîne qui a développé ça à l’époque c’est Al Jazeera à une échelle plus réduite. C’est un modèle qui est surtout inspiré de la chaîne Fox News aux États-Unis qui se pose comme un media qui est différent des medias mainstream et c’est ce que cherche à faire RT à partir de la fin des années 2000, dans l’espace international.

Ça a pu fonctionner au début, comme RT France au moment du mouvement des "gilets jaunes", c’est un créneau qui a permis à la chaîne de renforcer sa notoriété auprès d’un certain public. Aujourd’hui, dans un contexte ou une chaîne comme CNews marche très bien, cette niche alternative est occupée par plein d’autres medias. Et aujourd’hui RT France a beaucoup plus de mal à trouver sa place dans ce paysage médiatique.

Pour autant, et le livre le documente très bien, les personnalités ou experts invités sur RT ne sont pas forcément tous d'accord ou tous du même "bord" politique ?

Il y a énormément de gens de bords politiques très différents qui vont sur RT pour différentes raisons. Certains estiment qu’ils ont la possibilité de s’exprimer sur une chaîne internationale, d’autres ont une approche plus militante, d’autres rejoignent cette idée alternative, qu’ils soient de gauche ou droite.

C’est intéressant car la chaîne hispanophone de RT est très à gauche, anti-impérialiste et marche très bien en Amérique latine, avec la présence de la gauche anti-américaine et bolivarienne. RT France et RT Deutsch sont plus sur une ligne eurosceptique de plus en plus de droite et d’extrême droite.

On se souvient que si le lancement de RT France avait suscité plusieurs polémiques fin 2017, avec une chaîne pas forcément bien accueillie, ni par ses confrères ni par le gouvernement, aujourd'hui on en parle beaucoup moins. Pour quelle raison ? 

Le paysage médiatique français a beaucoup changé depuis 2017. À l’époque, quand RT France est lancée, il y a peu de chaînes internationales en France. Ils arrivent en créant cette chaîne de télévision car le site existait depuis quelques années et réussissent à s’imposer.

En réalité, ça a bien marché sur les "gilets jaunes", grâce aux réseaux sociaux, avec 12 millions de visites mensuelles. Aujourd’hui on est à environ trois millions de visites sur le site, ce qui est l’équivalent d’un petit quotidien régional, voire départemental en France. Je pense qu’ils vont essayer de se relancer à la faveur de l’élection présidentielle, mais aujourd’hui force est de constater que RT France est un média qui marche assez mal.

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