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"Les journalistes doivent avoir un droit de vote sur la nomination du directeur de l’information", estime le patron du "Monde"

Louis Dreyfus président du directoire du groupe "Le Monde" livre, à l'occasion des États généraux de l'information, ses pistes pour garantir l’indépendance et la fiabilité des médias.
Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Temps de lecture : 93 min
Louis Dreyfus, président du directoire du groupe "Le Monde", le 3 octobre2023. (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Louis Dreyfus préside le directoire du groupe Le Monde, qui vient de renforcer son indépendance en changeant d'actionnariat. À l'occasion du lancement, mardi 3 octobre, des états généraux de l'information, une promesse de campagne du président de la République, Emmanuel Macron, il explique la nécessité de trouver de nouveaux modèles économiques, "un journal qui perd de l'argent a du mal à rester un journal indépendant", dit-il.

>> Après la grève au "JDD", quelles sont les pistes pour améliorer l'indépendance des médias

"Aujourd'hui, Le Monde doit avoir 1,8 million d'adolescents qui nous suivent tous les jours sur Snapchat", se réjouit Louis Dreyfus évoquant la nécessité d’attirer les jeunes générations en maîtrisant leurs moyens de communication, tout en garantissant l’indépendance de l’information face à l’émergence de l’intelligence artificielle.

 
franceinfo : C'est un comité indépendant qui est chargé de réfléchir aux moyens de garantir le droit à l'information au XXIᵉ siècle, autrement dit à l'heure du numérique. Ce droit d'informer et d'être informé est-il vraiment menacé ? 

Louis Dreyfus : Je crois qu'on a encore une fois eu dans les dernières semaines, plusieurs exemples qui montrent que ce droit peut être menacé. J'en veux pour preuve, ne serait-ce que la semaine dernière où cette journaliste de "Disclose ", Ariane Lavrilleux, a passé 39 heures en garde à vue. Quand vous voyez les menaces que peut subir le journaliste de Mediapart, Fabrice Arfi, de la part d'Arnaud Mimran en prison en disant qu'il souhaite lui régler son compte. Vous avez l'histoire du "JDD" cet été, où les journalistes ont dû massivement quitter ce journal faute d'être entendus sur la ligne éditoriale. Vous avez des éléments graves mais également des éléments économiques. Une partie de la presse est en difficulté parce qu'elle ne trouve pas de modèle économique. Et si on souhaite avoir un débat citoyen équilibré et de qualité, on a besoin d'une presse de qualité. Il faut donc trouver les voies et moyens d'améliorer ses modèles économiques.

Vous faites bien de dire "Citoyen" parce que les Français vont pouvoir participer, alimenter ce débat tout au long de l'année. Qu'attendez-vous de ces états généraux au "Monde" ? Quelles mesures concrètes sont indispensables ? 

Moi, je pense qu'il y en a une première qui est la nécessité que les rédactions, que les journalistes s'expriment et aient un droit de vote sur la nomination du directeur de rédaction. Il y a un principe d'autorité qui est compliqué dans ce métier. Prendre un directeur qui est illégitime pour ses équipes, c'est aller dans le mur, c'est éroder un peu plus le lien de confiance qu'on a avec nos lecteurs. On sait que nos lecteurs doutent régulièrement de l'indépendance des rédactions. Il faut régulièrement, au contraire, qu'on donne des signes extérieurs d'indépendance, qu'on rajoute des dimensions statutaires. 

"Si le gouvernement pouvait pousser cette proposition de loi qui obligerait les actionnaires à demander l'avis des rédactions avant de nommer un directeur de la rédaction, je pense que ce serait une avancée notable."

Louis Dreyfus président du directoire du groupe "Le Monde"

à franceinfo

C'est ce qui se passe au "Monde", nous allons en parler mais comment faites-vous dans votre journal et dans votre groupe plus globalement, pour attirer de jeunes lecteurs qui préfèrent aller s'informer sur les réseaux sociaux ? 

Cela fait quatre ans qu'on investit beaucoup sur les plateformes numériques, considérant que ces jeunes générations sont avant tout sur ces plateformes. Ça peut être Snapchat, TikTok, YouTube et penser qu'on peut les amener à nos médias sans passer par ces plateformes est très illusoire. On a une édition quotidienne sur Snapchat fait par une rédaction qui dépend de la direction de la rédaction. On a une édition sur TikTok, sur YouTube. Aujourd'hui, on doit avoir 1,8 million d'adolescents français qui nous suivent tous les jours sur Snapchat. On en a 1 000 000 sur TikTok et on voit qu'au bout de deux ou trois ans, ces adolescents qui ont commencé à avoir une relation avec nous via ces plateformes s'abonnent au "Monde", à l'édition numérique quand ils dépassent les 18 ans. Il faut donc aller les chercher sur ces terrains et d'ailleurs, qu'on parle d'aides publiques ou du droit à l'information, quand je vois les réticences du gouvernement à accompagner ce type d'investissement, pas pour nous, mais pour les autres en disant : Les plateformes, on n'est pas très pour, c'est se voiler la face. Ces générations s'informent sur ces plateformes, il faut aider les rédactions de qualité à pouvoir créer des formats dédiés. 

Quel regard vous porter sur l’utilisation de l’intelligence artificielle ? 

C'est évidemment une source d'inquiétude pour la fiabilité parce qu'on va avoir une information qui va être produite sans intervention humaine. Pour nous, il y a une question de droits d'auteur, on prend le risque que nos contenus soient scrollés par les robots de ces outils d'intelligence artificielle puisqu'ils s'entraînent avec nos contenus et les mélangent avec des sources de moindre qualité. Il y a une question de droits d'auteur et une question de fiabilité de l'information. Nous sommes donc très réticents et attentifs. 

Beaucoup de titres de la presse quotidienne sont contrôlés par des milliardaires. Comment allier indépendance éditoriale et réalité économique puisque sans ces grandes fortunes, beaucoup de ces journaux auraient déjà disparu ? Vous-même au Monde, vous avez été sauvés par Xavier Niel, Pierre Bergé et Matthieu Pigasse. 

Tout à fait. On fait quelque chose d'assez compliqué. C'est-à-dire que pour transformer les modèles économiques de ces journaux, on a besoin de beaucoup de ressources financières. Xavier Niel, Pierre Bergé et Matthieu Pigasse ont globalement investi 125 millions dans "Le Monde". Il faut avoir des milliardaires derrière soi pour ça. Et pour autant, comme l'information est un bien, très différent des autres biens, ce n'est pas parce qu'ils mettent autant d'argent qu'ils ont les droits proportionnels à cet investissement. Xavier Niel a investi beaucoup d'argent, mais il comprend que pour autant, il n'a pas le droit d'intervenir sur les contenus, que même les nominations des directeurs éditoriaux sont soumises au vote préalable. Même le licenciement du directeur du journal ou des directeurs de la rédaction en cours de mandat est soumis au vote préalable des rédactions. Il faut accepter cette contradiction. On a besoin de beaucoup de ressources, donc il ne faut pas stigmatiser ces milliardaires, mais il faut qu'eux-mêmes reconnaissent le statut très particulier de l'information. 

Votre stabilité financière au "Monde" est garantie et pérenne ?

Le groupe est rentable depuis sept ans. On a une croissance des abonnés numérique qui est très importante. "Le Monde" vendait 240 000 exemplaires il y a 13 ans. On en vend aujourd'hui presque 500 000 donc vous avez un chiffre d'affaires qui a progressé. Aujourd'hui pour donner un chiffre, l'abonnement numérique du "Monde" pourrait suffire à financer 100% de la rédaction, qu'elle travaille pour le magazine ou pour le quotidien. C'est ça aussi l'indépendance. Il faut surtout garder en tête qu'un journal qui perd de l'argent a du mal à rester un journal indépendant.


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