Cet article date de plus d'un an.

"L'histoire au scalpel" : "Les morts sont les patients du passé", pour le médecin légiste Philippe Charlier

Philippe Charlier continue d’autopsier les figures historiques françaises sur France 5 dans "L'histoire au scalpel " jeudi à 21h05 avec deux nouveaux numéros.
Article rédigé par Célyne Baÿt-Darcourt
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Le médecin légiste, Philippe Charlier, le 23 novembre 2023. (RADIOFRANCE / FRANCEINFO)

Philippe Charlier est le plus médiatique des médecins légistes. Celui qu’on surnomme : l'homme qui fait parler les morts est également anthropologue. Il a réalisé des autopsies pour des cold case à la demande de la justice, mais on le connaît surtout pour ses analyses de restes de grandes figures historiques. Il a, par exemple, établi que Louis IX était mort du scorbut, reconstitué le visage d'Henri IV, ou encore examiné les restes d'Hitler, ses dents notamment. Il présente sur France 5 une série de documentaires intitulée : L'histoire au scalpel. Deux nouveaux numéros, Maréchal Ney, le mystère américain et L’étrange histoire des cœurs des rois, sont diffusés jeudi 23 novembre à 21h05 sur France 5.

franceinfo : Ne vous êtes-vous pas trompé de métier ? Ne vouliez-vous pas être historien ?

Philippe Charlier : En réalité, je suis historien des maladies, historien des techniques médico-chirurgicales et puis historien du corps humain. C'est une sorte de mélange des genres.

Pourquoi êtes-vous fasciné par les figures historiques ?

Parce que ce sont les figures qui sont les mieux documentées. C'est ce qui nous permet de savoir si l'histoire dit la vérité ou pas. On a un corps qui est potentiellement celui de tel personnage historique. On a des chroniques, on a un rapport d'autopsie, un rapport d'embaumement, on a des portraits, on a un masque mortuaire et à partir de ces éléments, on essaie de voir si tout ceci va dans la même direction ou pas.

Vous menez deux nouvelles enquêtes jeudi soir sur France 5. La seconde porte sur le maréchal Ney, mais nous allons nous arrêter sur la première qui concerne Louis XIII et Louis XIV.  Elle porte sur leurs états de santé et les causes de leurs décès. On ne savait rien là-dessus ?

On le sait, mais il y a des versions différentes et puis il y a aussi un réexamen des termes médicaux de l'époque qui est vraiment utile. Par exemple, on peut décrire des vers, on peut décrire aussi un état de santé bucco-dentaire assez effrayant pour le pauvre Louis XIV qui avait une partie de la mâchoire supérieure qui avait été arrachée. Pour Louis XIII, on ne sait pas s'il avait une tuberculose intestinale ou s'il avait une maladie de Crohn. Ça change beaucoup de choses pour la cause de son décès et également pour l'efficacité des éventuels traitements qu'on a pu lui donner.

"Il y a toujours un intérêt à revenir sur ces cold case historiques, et à les réexaminer, mais jamais tout seul, toujours avec des historiens."

Philippe Charlier

franceinfo

Tout ce qu'il reste de Louis XIII et de Louis XIV, ce sont leurs cœurs. Comment ça se fait ?

Eh bien, malheureusement, ils ont été, non pas profanés, mais vraiment éparpillés façon puzzle au moment de la Révolution française. En octobre 1793, le corps de ce qui restait de ses souverains a été ouvert, a été dispersé et ensuite jeté dans une fosse commune, puis récupéré quelques années plus tard, et remis dans un ossuaire à la basilique Saint-Denis. Entre-temps, les viscères avaient été déposés à Notre-Dame de Paris et à la Révolution française, ça a été éparpillé. Et les cœurs, eux, une légende nous dit que ces cœurs auraient été déposés du coup, chez les Jésuites, à Saint-Paul Saint-Louis, dans le Marais, à Paris, puis vendus à deux peintres, Alexandre Pau de Saint-Martin et Martin Drolling, qui les auraient ensuite broyés, transformés en pigments et mis dans deux peintures, une au Louvre et une au musée de Pontoise.

En examinant des rapports d'autopsie, sans avoir le cadavre devant vous, vous pouvez retracer une vie ?

Alors, avec les éléments biologiques, avec un petit fragment de cœur, on a pas mal d'examens comme ceux que vous pourriez passer par exemple dans un hôpital ou en ville dans un laboratoire d'analyses. On a un scanner, on a de la microscopie optique ou électronique à balayage qui va beaucoup plus loin évidemment. Et puis on a d'autres examens comme l'immunologie, la biochimie, la toxicologie ou encore la protéomique, l'identification de toutes les protéines qui composent un échantillon. Quand on met toutes ces données les unes à côté des autres, on reconstitue non seulement le carnet de santé de l'individu et parfois même on peut connaître la cause de son décès.

Vous aimez travailler sur des reliques. Quelle est la plus ancienne que vous ayez étudié ?

Les restes humains les plus anciens que j'ai pu étudier, c'était avec Yves Coppens et c'étaient les restes de Lucy. On s'est rendu compte que cette australopithèque Afarensis avait peut-être été croquée ou dévorée par un crocodile et qu'ensuite son corps avait été dispersé lors d'un glissement de terrain assez important. C'est le cas le plus ancien.

Pourquoi devient ton médecin légiste ? Pourquoi on a envie de passer ses journées avec la mort ?

Je ne suis pas du tout fasciné par la mort. Ce qui m'intéresse, ce sont les rituels autour de la mort et c'est aussi faire parler les morts, c'est-à-dire trouver la véritable cause de décès d'un individu et d’essayer d'avoir le maximum d'informations sur la façon dont on vivait à cette époque. C'est ça qui m'intéressait. Pour moi, les morts ne sont pas entièrement morts. N'y voyez aucune métaphysique, c'est qu'il y a toujours moyen de leur tirer les vers du nez, un moyen de les faire parler et de mieux connaître comment on vivait à cette période. Ce sont des patients du passé.

Sur qui travaillez-vous en ce moment ?

Je suis en train de dépouiller les résultats des fouilles archéologiques qu'on a menées chez Napoléon à Longwood sur l'île de Sainte-Hélène. Ce sont les latrines, les poubelles... Les toilettes, c'est passionnant parce que vous avez évidemment tout ce que l'individu a pu manger au fur et à mesure du temps, donc les toxiques potentiels. Et là vous voyez l'intérêt pour Napoléon, bien évidemment. Et puis également tout ce qu'on perd dans les toilettes. Napoléon a perdu des boutons, des dés pour jouer, des cure-dents. Et puis parfois on met dans les toilettes des choses qu'on n'a pas envie que les gens retrouvent… Il est possible que le premier masque mortuaire de Napoléon ait été jeté dans les latrines parce qu'il ne correspondait pas à un type physique parfait.

Vous êtes en train de créer un nouveau musée.

"Je porte le projet de création d'un musée autour de la science médico-légale au service de l'histoire, qui sera également un centre de recherche européen."

Philippe Charlier

franceinfo

Et toutes les disciplines (scanner, microscopie, analyses, et cetera) seront centralisées à cet endroit-là avec une galerie d'expositions temporaires et une permanente. Ce sera dans le Grand Paris et ça devrait ouvrir dans quelques années.

Retrouvez cette interview en vidéo :

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.