"Notre rôle c'est de stabiliser les blessés" : Arsène Sabanieev, anesthésiste engagé sur le front de la guerre en Ukraine
Arsène Sabanieev 32 ans, franco-ukrainien, est allé en Ukraine aux premiers jours de la guerre. Pendant un an, ce médecin anesthésiste, qui parle couramment russe et ukrainien, a fait des allers-retours entre Lille, où il vit et les différentes zones de combats. Il a notamment œuvré à Bakhmout fin 2022, où son poste médical était à cinq kilomètres de la ligne de front.
"C'est très chaotique, très sale. Il y a beaucoup de boue, beaucoup de sang. C'est un peu comme dans les films. Les militaires arrivent avec souvent des membres arrachés, des trous dans le corps et donc nous, notre rôle, c'est de les stabiliser", raconte l'anesthésiste.
Arsène Sabanieev a d'abord collecté puis envoyé du matériel médical en Ukraine. Il est ensuite parti après que la guerre a éclaté, pour sauver des vies. Une partie de sa famille vit dans le pays. Au moment de son départ, il laisse derrière lui sa vie confortable dans un hôpital de Lille et sa compagne.
Le traumatisme de Bakhmout
Arsène débarque en mars 2022 à Kiev la capitale ukrainienne, alors que la ville commence à être encerclée. Le premier jour de son arrivée, "un ambulancier s'est pris un éclat directement dans le cœur. Il a fait une hémorragie péricardique." Il y aura aussi Vouledar dans la région de Donetsk, Bakhmout, dans le Donbass et Dnipro, où il effectue des rotations dans un bus médical, spécialement aménagé pour évacuer les blessés vers les hôpitaux. Le jeune père raconte avoir vu toutes les facettes du service de santé de l'armée ukrainienne en temps de guerre. Cinq mois après son retour en France, c'est encore le quotidien à Bakhmout, théâtre d'une sanglante bataille depuis un an, qui le hante.
"À Bakhmout, tous les sens sont agressés. C'est une ville morte. Quand on passe pour aller au poste médical en courant. [...] On se sent très fragile."
Arsène Sabanieev, médecin-anesthésiste franco-ukrainienà franceinfo
Arsène explique que l'équipe médicale garait l'ambulance à 300 mètres pour ne pas créer une accumulation de véhicules, évitant ainsi d'être "une cible facile".
Une atmosphère apocalyptique
Les trous, les obus et les voitures calcinés défilent. "On se dit que si quelque chose tombe maintenant à côté de nous, ça peut être la fin et ça fait très peur, se remémore Arsène. Nous, on ne dormait pas à Bahkmout car c'était très, très, très dangereux."
Les émotions accumulées pendant la journée sont à vif la nuit. La solitude et les larmes prennent l'anesthésiste : "Le soir, on était un peu plus en sécurité à Kramatorsk, se rappelle Arsène. Mais tout seul dans le sac de couchage, c'était difficile. Je repensais au jeune soldat qu'on a dû traiter ou au soldat mort et au stress." Malgré cette expérience traumatisante, il décide de prolonger son expérience et "fait encore une rotation" avant de rentrer pour cas de force majeure : sa compagne est enceinte de huit mois.
Aujourd'hui, Arsène est papa d'une petite fille de quelques mois. Pour lui être père et travailler sur le front n'est pas incompatible: "Beaucoup d'amis que je connais ont des enfants. Ils sont sur le front, des enfants, sont laissés sans parents et c'est une raison de plus de se battre."
"Être père ce n'est pas un totem d'immunité."
Arsène Sabanieev, médecin-anesthésiste franco-ukrainienà franceinfo
Il veut offrir à sa fille un "avenir radieux". Et celui-ci passe "par le combat et par la dislocation de cet empire du mal qu'est la Russie qui bombarde, tue des civils et des enfants."
Arsène a lui-même frôlé la mort à plusieurs reprises. La première fois, c’était en juin 2022, alors qu'il est à trois kilomètres du front.
"On était basé dans une maison que nous avions occupée avec notre unité et puis il y a eu une reconnaissance de drones par l'armée russe", raconte Arsène. L'équipe se met à l'abri dans la cave. Une heure passe. Arsène et son équipe décident de sortir : "À ce moment-là, il y a eu une frappe de mortier directement sur notre maison. On a eu deux blessés dont un grave. L'obus serait tombé deux mètres à côté, je pense qu'on y passait tous." Arsène s'estime chanceux. S'il n'a perdu aucun membre de sa famille, il a perdu plusieurs "frères d'armes".
"C'est la roulette russe. Il y a des tirs en permanence, tout le temps sur nous et sur le poste médical."
Arsène Sabanieev, médecin-anesthésiste franco-ukrainienà franceinfo
Se battre semble être la seule option d'Arsène : "C'est une guerre d'extermination. Ce sont les Russes qui l'ont dit, affirme-t-il. Je ne peux pas me réveiller tous les matins, me regarder dans une glace et me dire que je continue ma vie en France, qui est très confortable." Le père de famille exerce en tant que médecin-anesthésiste en libéral. Il est conscient qu'il peut "gagner très bien sa vie en France". Il le martèle, que son "éthique personnelle" l'empêche de "rester passif".
Arsène Sabanieev prépare un livre sur son expérience en Ukraine, qui sortira bientôt. Il espère retourner sur le front ukrainien, d'ici la fin de l'année, en attendant que sa fille "grandisse un peu".
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