Et si les Russes nous volaient les Mistral ?
Le lendemain de Noël, la France se réveille avec un énorme mystère à la une des journaux : cinq vedettes de combat sont sorties du port de Cherbourg où elles étaient construites sans que personne n'ait d'idée sur leur destination.
Qu'est-ce que c'est que cette affaire qui secoue le pays dans une période plutôt creuse ?
Pour comprendre, il faut revenir quelques années en arrière. En 1965, la France, et plus particulièrement les chantiers de Cherbourg de l'industriel Félix Amiot reçoivent une commande israëlienne pour douze vedettes de combat. Cela représente une aubaine pour l'économie locale, les chantiers de Cherbourg faisant vivre environs cinq mille personnes.
Toutefois, les évènements internationaux perturbent la livraison. En effet, en 1968 lorsque l'offensive israélienne sur l'aéroport de Beyrouth conduit De Gaulle à décider d'un embargo total, seules cinq vedettes ont été livrées sur les douze prévues dans le contrat. Sur les sept restantes, deux sont en exercice avec à leurs bords des marins israéliens tandis que les cinq restantes n'ont pas été achevées.
Les deux vedettes en exercice, situation dans laquelle se trouve d'ailleurs le Vladivostock aujourd'hui, profitent d'un essai en mer et du flou qui suit l'annonce de l'embargo pour quitter Cherbourg direction Israël.
Il en reste ainsi cinq, bloquées dans le port de Cherbourg. Toutefois, les équipages israéliens ne quittent pas la ville et très rapidement, avec la complicité du vice-amiral Bouillaut, préfet maritime, quittent l'arsenal pour venir mouiller dans le port de commerce.
Et il s'agit de fait de la première pierre d'un stratagème digne des meilleurs romans d'espionnage
Peu avant Noël 1969, en effet, une société norvégo-panamanéenne approche conjointement la France et Israël pour acheter les cinq vedettes devenues indésirables.
Autorisée par une commission, la vente est conclue et le soir de Noël, toutes les cinq quittent le port de Cherbourg.
Mais il y a un "mais"
Interrogé par les médias français, le porte parole du Ministre norvégien des Affaires Etrangères nie avoir connaissance de ladite société et les vedettes naviguent sans pavillon.
En réalité, les travaux de l'historien Justin Lecarpentier nous ont montré que cette prétendue société n'existe pas réellement. Il s'agit de fait de la seconde partie du stratagème piloté par le Mossad.
Quelques mois plus tôt, en effet, un homme d'affaires israélien proche du Mossad avait monté cette société dans le but de récupérer les vedettes. Et si l'on attend Noël pour les faire sortir du port c'est que, selon les mots de l'amiral israélien Mordechai Limon, chef de la mission d'achat en France, il s'agit d'une période creuse durant laquelle les moteurs pourront être allumés sans avertir les autorités.
Dans cette affaire, les Israéliens profitent de la complicité de Felix Amiot qui se trouve en outre être proche du milieu journalistique de la ville. En effet, il s'assure de la complicité des deux journaux principaux pour être certain que la disparition des vedettes ne fera pas la une du lendemain.
Il faut ainsi plus de 36H pour que deux journalistes se décident à passer outre l'interdiction et c'est uniquement à ce moment-là que Pompidou et le gouvernement français sont mis au courant !
Dans un état de fureur absolue, Michel Debré le ministre de la Défense sanctionne Bouillaut et la commission ayant autorisé la vente.
Les radars mis en alerte, les vedettes sont rapidement repérées tandis qu'elles font route vers Israël. Alors que Debré plaide pour une destruction pure et simple des navires, qui sont, rappelons-le, non armés, la France préfère faire le dos rond tandis qu'au Royaume Uni, les journaux s'en donnent à coeur joie.
Quelques jours plus tard, les vedettes entrent dans la rade d'Haïfa en grande pompe. La Première ministre interrompt même le conseil des ministres.
C'est ainsi une opération menée d'une main de maître par le Mossad.
Cette affaire marque d'ailleurs la fin des relations privilégiées entre les deux pays. En effet, à partir de cette date Israël se tourne vers le marché américain tandis que les ventes d'armes françaises vont vers les pays arabes. Aujourd'hui encore, en Israël l'épisode est célebré comme la réponse adéquate à une terrible trahison française.
Après 10 jours passés en mer, avec à bord 200 marins russes, le Vladivostock, l'un des deux Mistral destinés à la Russie est rentré, lui, sans histoire dans le port de Saint Nazaire...
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