Et si le guide Michelin était un guide touristique?
En 1946, la "Tribune de Paris" est consacrée à une passion française, la gastronomie. Au cours de l'émission, construite comme un débat, le prince des gastronomes, le très drôle critique gastronomique Maurice-Edmond Saillant, plus connu sous son pseudonyme Curnonski s'emporte...
"Voilà cinquante ans que je me tue à dire que l'alliance du tourisme et de la gastronomie n'est possible qu'en France à cause de la variété presqu'infinie de nos cuisines régionales !"
Et s'il s'emporte, c'est qu'il sait parfaitement de quoi il parle, étant à l'origine du très fameux et très redouté Guide Michelin. Il ne s'agit pas du Guide Michelin d'origine, celui qui, sorti pour l'exposition universelle de 1900, faisait surtout l'inventaire des garages et pompes à essence ; mais du Guide de 1926 dans sa version que nous connaissons tous et dont l'édition 2015 est sortie hier.
De fait, c'est à partir de 1926 que ce monument national, "créé avec le siècle" (Edouard et André Michelin), se penche plus sérieusement sur la gastronomie en indiquant tout d'abord à ses lecteurs les meilleurs restaurants, signalés par une petite vignette "étoile de bonne table". En 1931, il va encore un peu plus loin en délivrant son premier classement, une étoile, deux étoiles, et trois étoiles, véritable consécration... Classement établi par de véritables insepecteurs dont le nombre varie entre "peu et beaucoup" pour reprendre les mots d'Alain Arnaud, historien de la gastronomie.
Dès l'origine, le guide Michelin est un précieux compagnon de route pour tout touriste gastronome qui se respecte, même s'il ignore probablement les deux frères, Edouard et André Michelin, fabriquants de pneus de Clermont-Ferrand, se sont lancés dans l'édition d'un guide afin, d'abord de faire faire plus de kilomètres aux automobilistes pour qu'ils usent plus vite leurs pneus.
Mais pour tous, le Guide est le gardien du temple gastronomique français, un temple jalousement gardé qui doit résister à la mauvaise cuisine. Et cela n'est pas sans rappeler le cultissime film de Claude Zidi sorti en 1976, l'Aile ou la Cuisse dans lequel Louis de Funès, fondateur du guide Duchemin doit faire face à l'horrible Julien Guiomar, qui campe Tricatel, géant de la nourriture industrielle... Une allusion assez explicite à Jacques Borel, inventeur du premier restoroute en 1968.
Dans le film, c'est Tricatel qui gagne...
L'attachement français à la bonne chère est tel qu'en 2010, la gastronomie française est inscrite au patrimoine immatériel de l'UNESCO, au même titre que l'acupuncture chinoise.
Hier, c'est depuis le Quai d'Orsay que la nouvelle édition du guide a été présentée, faisant inévitablement ses heureux et ses déçus. Le choix du lieu n'est pas anodin. Depuis avril dernier, le Quai d'Orsay a hérité du porte-feuille du tourisme. Alors oui, en 1946 Curnonski avait raison, la gastronomie est au service du tourisme français, et le petit livre rouge en est son emblème.
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