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D' Emmanuelle à "50 Nuances de Grey" : l'interdit devint permis

Conditionné à de nombreuses coupes en avril 1974 mais finalement sorti dans sa version intégrale en juin de la même année, échappant à la classification X, Emmanuelle est un véritable phénomène. Dix ans à l'affiche, neuf millions de spectateurs en France, cinquante millions dans le monde... Un succès qu'aimerait sans doute égaler "50 nuances de Grey" sorti mercredi.
Article rédigé par Thomas Snégaroff
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 2min
Franceinfo (Franceinfo)

En mai 1974, le 28e festival de Cannes bat son plein mais ce n'est pas un film en compétition qui attire tous les regards, ni même un film sorti en salle.

Aucune vedette dans ce film, le premier rôle est tenu par une jeune actrice néerlandaise de 19 ans, élevée chez les bonnes soeurs, Sylvia Kristel que Jacqueline Alexandre invite dans son émission Couleurs du Festival sur TF1 :

"Nous allons aujourd'hui parler d'un film qui n'a pas encore obtenu son visa de censure, c'est Emmanuelle . Est-ce un film érotique ? Il est difficile de le qualifier de cette façon, mais film grand public non plus !"

"Que va-t-il advenir de ce film ? ", se demande Jacqueline Alexandre. Eh bien il sort dans les salles le 26 juin en profitant de l'assouplissement de la censure. Pourtant, dans un premier temps, la commission avait conditionné sa sortie à de nombreuses coupes. Alors que s'est-il passé ?

Michel Guy aux commandes

Emmanuelle s'engouffre en fait dans une brèche ouverte par un évènement dépassant de loin le cadre du cinéma. La mort de Pompidou le 2 avril 1974, l'élection de Valéry Giscard d'Estaing le 19 mai et la nomination d'un nouveau secrétaire d'Etat à la culture, Michel Guy : tout ceci bouleverse la donne. Revenant sur la censure incarnée par son prédécesseur Maurice Druon, Michel Guy autorise la sortie du film en salles, passant outre les recommandations de la commission. Il s'en explique :

"Je ne me reconnais pas le droit d'interdire à des spectateurs adultes la possibilité de voir les films qu'ils désirent !"

L'attente et la curiosité ont été telles que le succès est immédiat. En France, ils sont 9 millions à se presser pour découvrir l'initiation sexuelle de la jeune Emmanuelle. Et dans le monde ils seront 50 millions. La demande est si importante que l'UGC Triomphe sur les Champs-Elysées le programme pendant près de dix ans, sous-titrés en Anglais pour les touristes chaque été.

Une romance avec VGE ?

Et pour la jeune actrice, c'est l'apothéose. Des émirs du Golfe la demandent en mariage, le président du Brésil lui offre les clefs de la ville de Sao Paulo. Les rumeurs lui prêtent même une romance avec le président Giscard d'Estaing.

Mais lorsqu'on l'interroge en 1981 sur le succès d'Emmanuelle , le réalisateur Just Jaekin n'est pas dupe. Sur Antenne 2, il déclare :

"Il faut être modeste, le succès d'Emmanuelle a été due à la libération de la censure !"

Mais ce n'est pas la seule clef du succès. Emmanuelle a également largement profité d'une nouvelle législation sur les films pornographiques, désormais classés X, en 1975 à l'initiative de Michel Guy :

"Pour juguler l'invasion de films X, nous avons trouvé un dispositif qui est à la fois au niveau des taxes avec l'élévation de la TVA à 33%, et une charte de discipline de la profession qui s'engage à diffuser ces films que dans certains endroits."

Considéré par certains comme un véritable film d'art et d'essai, la nouvelle classification X a offert un boulevard à Emmanuelle , film érotique certes, mais que personne n'avait honte d'aller voir au cinéma. On raconte même que des cars de touristes japonais s'arrêtaient chaque jour devant le Triomphe. Alors quarante ans plus tard, 50 nuances de Grey , interdit seulement aux moins de 12 ans risque bien de connaître le même destin.

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