Debora Kayembe : la nouvelle rectrice de l'université d'Édimbourg
Cette réfugiée congolaise de 45 ans a été remarquée pour son combat contre le racisme.
Debora Kayembe est la nouvelle rectrice de l'université d'Édimbourg en Écosse et prend ses fonctions, ce lundi 1er mars. C'est la première femme noire à occuper un tel poste, une révolution pour cette prestigieuse université fondée au XVIème siècle. Depuis 1858 (date à laquelle le poste de recteur a été créé), 53 recteurs se sont succédés, tous blancs et seulement deux femmes : Muriel Gray et la rectrice sortante Ann Henderson.
Quand Debora a appris la nouvelle, elle a été d’abord très surprise. "Je suis allée les voir en réunion et je leur ai dit 'pourquoi moi' ? Ils m'ont répondu que le combat que je menais contre le racisme était respectable et qu'ils voulaient que je vienne avec ça à l'université", a confié Debora à franceinfo.
Si elle était loin d’imaginer qu’elle se retrouverait à la tête de l’université d’Édimbourg c’est parce qu’elle revient de loin. Son parcours a été parsemé d'obstacles : une milice armée l'a poursuivie au Congo, le barreau anglais a rejeté son dossier, elle a élevé seule ses enfants et a subi des attaques racistes qui ont mis sa vie en danger.
Elle a fui la RDC car sa vie était menacée
Debora Kayembe naît en 1975 à Kinshasa en République Démocratique du Congo, anciennement le Zaïre. Elle grandit dans un milieu aisé avec un père professeur et une mère femme de ménage qui est devenue interprète par la suite.
Son père veut qu’elle devienne médecin mais Debora est plutôt attirée par le droit et la justice. "Ma vocation pour le droit a commencé à l’âge de 19 ans. Je me suis aventurée dans un bidonville de Kinshasa et c’est là que j'ai vu la souffrance du peuple", raconte-t-elle. Cette expérience fait naître chez elle un besoin de servir les autres et de contribuer à un monde plus juste.
Debora fait des études en droit international et rejoint le barreau de Matadi, dans l’Ouest du pays. Elle veut défendre les droits humains et rejoint le bureau des affaires humanitaires des Nations Unies. Debora mène plusieurs investigations notamment dans la province de l’Ituri où deux communautés (les Hema et les Lendu) s’affrontent depuis plus de 20 ans. Dans ce territoire, des groupes armés sont accusés de violer et de tuer des civils. Dans un rapport publié le 19 février 2021, le Fonds des Nations unies pour l'Enfance (Unicef) dénonce le silence et l'inaction de la communauté internationale face à la situation.
J'ai découvert certaines choses qui ont fait que j'ai dû me taire et m'enfuir
Debora Kayembeà franceinfo
Debora prend alors la direction du Royaume-Uni où elle demande l’asile. "J’ai attendu pendant deux ans. Cela a été très compliqué. Le Royaume-Uni ne croyait pas au fait que je puisse être avocate et activiste pour les droits humains. Je n’ai pas pu travailler pendant deux ans. Croyez-moi, être demandeur d’asile au Royaume-Uni ce n’est pas une vie", témoigne Debora Kayembe. Pendant ces deux années de démarches administratives, Debora a le sentiment que les services d’immigration ne la comprennent pas.
Cet épisode la marque et nourrit au fond d'elle une profonde envie d'améliorer le système. Elle se lance alors dans le volontariat pour aider les personnes réfugiées au Royaume-Uni. Elle obtient le droit de résidence à Blackburn, près de Manchester, et décide de lancer son entreprise de traduction et d’interprétariat à destination des immigrés.
Par la suite, elle tente de faire valoir son diplôme d’avocate obtenu au Congo mais le barreau de Londres rejette son dossier et lui propose deux solutions. Reprendre ses études à zéro ou déménager à Édimbourg, où son diplôme est reconnu. Debora choisit la deuxième option.
Elle s'installe en Écosse en 2011
Quand Debora Kayembe arrive en cosse, les choses ne sont pas simples. "La condition des immigrés est pire en Écosse qu’en Angleterre. Il y avait ce vent de Brexit qui arrivait avec une mauvaise image des réfugiés qui circulait. J'ai voulu raconter mon histoire", raconte-t-elle.
Debora décide de travailler au sein du Conseil écossais pour les réfugiés (le Scottish Refugee Council) qui lui propose de faire un discours devant le parlement écossais pour parler de la situation des réfugiés dans le pays. Elle est remarquée et ce discours fait basculer sa carrière.
Après ça, c'est l’Académie des sciences et des lettres d’Écosse qui la contacte pour lui proposer de rejoindre une de leur branche, la Young Academy of Scotland. Elle accepte, devient membre et crée de nombreux groupes de travail sur le Brexit, les immigrés et l’Afrique.
Et en 2019, elle devient la première femme noire à voir son portrait érigé sur le mur de l’Académie. Elle commence à avoir de l’influence et à être entendue, ce qui n’a pas plu à certains.
Elle a été victime de racisme en Écosse
En juin 2020, en pleine mobilisation mondiale contre le racisme après la mort de George Floyd, Debora se rend à un rendez-vous professionnel et sa voiture quitte brutalement la route. Elle se rend compte que des clous ont été posés sur les pneus. "Je sors de la voiture et je vois mes pneus avec des clous. C’était un attentat. Ils voulaient mettre fin à ma vie. Alors je n'ai pas mâché mes mots", se souvient-elle. Après cette attaque, Debora décide de créer son propre mouvement contre le racisme, le mouvement de la marche des libertés, le FreedomWalk.
Sa fille a également été victime de racisme à l’école. Un professeur lui demande un jour d’effectuer "une danse des esclaves" devant toute la classe. Quand Debora l'apprend, elle lance une pétition pour demander au Parlement écossais de s’attaquer au racisme dans le système éducatif. Le Parlement accepte et la question est débattue dans les mois qui suivent.
Elle a été élue rectrice par les syndicats et les étudiants de l'université
Son message de tolérance et de dialogue est remarqué et en novembre 2020, elle reçoit une lettre de l'université d'Édimbourg qui lui propose de devenir la prochaine rectrice. "Ca a été un grand choc. Je n’en revenais pas. Pendant deux mois je n’ai rien dit à personne. C’était déjà difficile pour certains de comprendre pourquoi j’avais fait une pétition contre le racisme alors dire que j'allais devenir rectrice, alors que l’université n’a jamais eu de rectrice noire…(rires)", raconte Debora, qui insiste sur le fait qu'elle a été élue par les syndicats et les étudiants de l'université et non par l'institution. "Il y aura l'institution d'un côté et moi de l'autre qui représente les étudiants", précise-t-elle.
Quels sont les projets de Debora en tant que rectrice ? D'abord, elle souhaite que l'université porte la voix des personnes marginalisées. Elle veut aussi rendre l'établissement accessible aux enfants pauvres à travers un programme de bourse.
L'Afrique sera également dans son agenda avec un programme dédié aux familles africaines installées en Ecosse. Quant à la RDC, Debora n'y est encore jamais retournée depuis qu'elle a fui. Là-bas, confie-t-elle, sa vie est peut-être encore menacée.
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