Yannick Jadot - Jordan Bardella : les questions comme arme du débat
Tous les jours, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité.
Les grands duels politiques sont de retour ! Avec l’accélération de la campagne électorale, les candidats ont de plus en plus l’occasion de confronter leurs arguments avec ceux de leurs adversaires. Jeudi 17 février, lors de l'émission Élysée 2022 sur France 2, Yannick Jadot, candidat EELV à la présidentielle débattait ainsi avec Jordan Bardella, le président du Rassemblement national.
La question que l’on se pose invariablement à l’issue d’un débat, c'est : qui a été le plus convaincant ? Qui l’a emporté ? Et c’est souvent difficile à dire. Dans bien des cas, les débats se résument à la juxtaposition de deux lignes argumentatives, qui se succèdent mais ne se croisent jamais. Jeudi, c’est en grande partie ce qui s’est passé. Yannick Jadot comme Jordan Bardella ont navigué entre invectives et développement de leurs propres propositions. Alors, ce n’est pas inintéressant, mais cela a surtout pour conséquence de convaincre les déjà convaincus.
Un échange sur deux registres différents
Ce débat a été interactif à deux reprises. Et ce qui est intéressant, c’est que ces séquences présentent, toutes deux, exactement la même structure. Lors de la première, Jordan Bardella et Yannick Jadot débattent de l’immigration de travail. "Vous faites comment à l'hôpital ?, questionne Yannick Jadot. On a 30 000 médecins migrants. Vous les mettez dehors ?
- Vous êtes donc comme Emmanuel Macron, vous voulez accueillir tout le monde, répond Jordan Bardella.
-Non, non vous les mettez dehors ?, interroge le candidat EELV
- La vision que vous avez de notre pays est la vision d'un hall de gare.
- Mais pourquoi vous ne répondez jamais à mes questions ? La politique, c'est concret.
- Vous êtes complètement déconnecté.
- Vous aspirez à gouverner. Ces jeunes-là, vous les virez ou vous ne les virez pas ? Les 30 000 médecins migrants vous les virez ou vous ne les virez pas ?
- Il faut évidemment mettre fin au numérus clausus.
En termes de stratégie, ce qui se passe est limpide. Yannick Jadot vient chercher Jordan Bardella sur les conséquences pratiques d’une proposition générale : faut-il expulser les 30 000 médecins étrangers qui travaillent à l’hôpital ? Soit Jordan Bardella répond oui, et il risque d’être accusé de mettre en danger l’hôpital public. Soit il répond non, et il risque de donner l’impression de ne pas vouloir véritablement lutter contre l’immigration.
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Deux mauvaises options donc, si bien qu’il opte pour la troisième : ne pas répondre, dans un premier temps, puis répondre à côté, puisqu’il élargit le débat à la question, beaucoup plus générale, de la formation des médecins.
Cette structure est donc revenue dans le débat, une seconde fois, sur la vision de la laïcité. "Je suis favorable à l'interdiction de port des signes religieux, qui est aujourd'hui uniquement en vigueur à l'école dans l'intégralité de l'espace public, indique Jordan Bardella.
- Donc le voile, la kippa, la croix : interdit dans l'espace public", demande Yannick Jadot.
- Non, les signes religieux ostentatoires Monsieur Jadot. Il y a une loi de 2004 qui existe.
- Une kippa, c'est ostentatoire ou pas ?
- Je peux finir ?
- Répondez, c'est ostentatoire ou pas ?
- Je peux finir ?
- Bah non, vous répondez ! Vous ne répondez pas parce que ça vous gêne.
- La kippa quand ils peuvent la porter Monsieur Jadot. Il y a beaucoup de français de confession juive qui ne peuvent pas se balader à quelques mètres d'ici dans le 93 avec la kippa.
On est exactement sur la même structure : Jordan Bardella défend l’interdiction du port des signes religieux dans l’espace public. Yannick Jadot lui demande si cela inclut la Kippa : c’est embêtant, puisque ce que cible Jordan Bardella, c’est en réalité le voile des musulmanes. Résultat : il refuse de répondre, puis répond à côté. Il ne dira jamais si sa mesure s’appliquerait à la kippa des juifs – ce qui, par parenthèse, serait le cas, ainsi d’ailleurs que pour les croix particulièrement grandes, puisque ces signes religieux sont déjà concernés par la loi de 2004 sur l’école à laquelle se réfère Jordan Bardella.
De la part de Yannick Jadot, il s’agit d’une stratégie consistant à contester, non pas le principe d’une proposition, mais ses modalités, de sorte à en révéler des conséquences pratiques que l’on estime inacceptables.
C’est précisément l’intérêt des débats en tête à tête. Si les deux interlocuteurs jouent le jeu, ils peuvent permettre de confronter les lignes argumentatives aux objections qui leur sont portées. Jeudi soir, à deux reprises au moins, c’est effectivement ce qui s’est passé.
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