Primaire écologiste : la décroissance, un mot mal choisi ?
Tous les soirs, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité.
Lors du débat des cinq candidats à la primaire écologiste, sur franceinfo et France Inter dimanche 5 septembre, un mot est beaucoup revenu : la décroissance. Ce concept est notamment au cœur du programme défendu par Delphine Batho, la présidente de Génération Écologie. Et elle n’a pas ménagé sa peine pour nous le faire entrer dans les oreilles. L'ancienne ministre l'a répété une dizaine de fois lors de ses prises de parole. En rhétorique, c’est ce que l’on appelle une stratégie du martèlement : on répète ad nauseam une même expression, jusqu’à être sûr que tous les auditeurs l’aient bien retenue. C’est le principe même d’un slogan de campagne.
Sauf que là, cela va un peu plus loin qu’un slogan. Il y a tout un modèle économique derrière ce terme. Tout part d’un texte célèbre, le "Rapport Meadows", publié en 1972 par le Club de Rome, qui s’intitule Les Limites à la croissance. Il fait un constat simple : si les sociétés humaines continuent à rechercher une croissance infinie dans un monde fini, elles courent à leur perte. Cinquante ans plus tard, la décroissance est devenue une véritable théorie philosophique et économique. Ses défenseurs vont même un cran plus loin : ils estiment que, dans les économies développées, l’augmentation du PIB ne permet plus d’augmenter le bien-être des populations.
Qu'est-ce qui justifie aujourd'hui le consumérisme, le productivisme, la malbouffe, les délocalisations, les licenciements ? C'est l'obsession pour la croissance économique.
Delphine Batholors du débat de la primaire écologiste sur franceinfo et France Inter
Voilà donc, selon Delphine Batho, la clé de la décroissance. Puisqu’il va de toute façon falloir réduire notre bilan carbone - la France s’y est engagé - et que l’augmentation du PIB irait de paire avec l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre, autant en profiter pour cesser de produire plus de richesses et chercher plutôt à mieux répartir celles que l’on produit déjà.
La pleine santé, la lutte contre la pauvreté, le niveau d'éducation, la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la régénération de la biodiversité. C'est ça en fait une politique de décroissance, et elle améliore le bien-être humain.
Delphine Batholors du débat de la primaire écologiste sur franceinfo et France Inter
Selon ses défenseurs, la décroissance, ce serait donc produire moins, mais vivre mieux. Viser la prospérité, sans la croissance : c’est justement le titre d’un livre fondateur, publié par l’économiste Tim Jackson en 2009. Après, bien sûr, viennent d'autres questions : est-ce souhaitable ? Est-ce possible ? Chacun se fera son opinion.
Pourtant, on a l’impression que l’idée ne prend pas, qu’elle fait peur. D’un point de vue purement politique, convaincre les français de "décroître", ça paraît presque suicidaire. Après tout, cela fait des décennies que les responsables politiques expliquent que la croissance est la clé pour créer des emplois et augmenter le niveau de vie. À tort ou à raison, là encore. En termes de stratégie rhétorique, prôner la "décroissance", cela revient à ramer contre le courant. Et surtout, le terme évoque spontanément des connotations négatives. On imagine devoir vivre sans avion, sans téléphone, sans internet, sans plaisirs ni bien-être.
Un choix rhétorique risqué
D’autant que, en face, d’autres écologistes utilisent des termes beaucoup plus attrayants. La "croissance verte" ou encore le "développement durable". C’est un gros clivage entre écologistes. Certains estiment, contrairement à Delphine Batho, qu’il est possible de concilier croissance du PIB et réduction du CO2 : c’est ce que l’on appelle le "découplage". Et ils le font avec des concepts qui résonnent effectivement de manière positive. C’est une épine supplémentaire dans le pied de la décroissance.
En plus, il existait des termes beaucoup plus attrayants pour qualifier cette idée. Certains économistes parlent par exemple plutôt de "post-croissance". Il aurait aussi été possible d’articuler une expression autour des termes de "sobriété" et de "prospérité". Mais revendiquer la "décroissance" dans le cadre d’une élection présidentielle, ce n’était sans doute pas l’option la plus facile. En rhétorique, les mots comptent autant que les choses : c’est une règle que pourrait méditer Delphine Batho.
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