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Polémique Omar Sy : sommes-nous sourds à ce qui se passe hors de l'Europe ?

Clément Viktorovitch revient chaque semaine sur les débats et les enjeux politiques. Dimanche 8 janvier : la polémique autour des propos de l'acteur Omar Sy à propos des guerres en Ukraine et en Afrique.
Article rédigé par Clément Viktorovitch
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le comédien Omar Sy présente le film "Tirailleurs", dont il est également producteur, à Dakar (Sénégal) le 20 décembre 2022 (SEYLLOU / AFP)

Dans une interview au journal Le Parisien, Omar Sy, en promotion pour le film Tirailleurs, était interrogé sur la guerre en Ukraine. Et il a dit ceci : "L’Ukraine n’a pas été une révélation dingue pour moi. Comme j’ai de la famille ailleurs, en Afrique, je sais qu’il y a toujours eu des enfants en guerre, des familles brisées. Je suis surpris que les gens soient si atteints. Ça veut dire que quand c’est en Afrique vous êtes moins atteints ?"

Ces propos mettent le doigt sur un véritable biais dans l’opinion publique française. Il s’agissait pourtant bien d’un propos humaniste, visant à rappeler toute l’horreur de la guerre. Omar Sy le dit d’ailleurs clairement un peu plus loin dans l’interview : "Une guerre, c’est l’humanité qui sombre, même quand c’est à l’autre bout du monde". Le Parisien, le lendemain, a tenu à préciser que ces propos avaient été prononcés sans virulence ni animosité. Mais rien n’y a fait : la polémique était là, animée par l’extrême droite, une partie de la droite, et même par une partie de la majorité. Omar Sy serait un ingrat qui chercherait à faire culpabiliser les Français.

Factuellement, Omar Sy a raison

Depuis le 24 février dernier, début de la guerre en Ukraine, la France a accueilli – et c’est tout à son honneur – 100 000 réfugiés ukrainiens. Dans le débat public, pas une voix critique ne s’est fait entendre. Même Éric Zemmour, violemment opposé à toute immigration, et qui avait dans un premier temps émis des réserves, a dû faire machine arrière. A contrario, souvenez-vous de ce qui s’est passé lors des crises libyenne et syrienne. Il a fallu la photo du petit Aylan Kurdi, 3 ans, retrouvé mort face contre terre sur une plage de Turquie, pour que le gouvernement accepte d’accueillir des réfugiés – et encore, bien peu – et que les voix qui fustigeaient l’immigration se taisent – et encore, pas pour longtemps.

Les propos d'Omar Sy renvoient à une idée qu’on entend souvent : nous serions davantage frappés par les drames qui se déroulent près de nous. Certains parlent même de la loi du "mort-kilomètre". Sauf que, ce n’est pas toujours vrai. La meilleure preuve, c’est que Paris est située plus près de Tripoli que de Kiev. En revanche, ce qui est établi, c’est ce qu’on appelle la théorie de l’identité sociale. Elle a été développée dans les années 70 par le psychologue Henri Tajfel, et confortée depuis par des décennies de recherche en psychologie sociale. Ce que montre cette théorie, c’est que nous autres, êtres humains, avons tendance à nous sentir plus proches, à être plus à l’écoute, à développer plus d’empathie pour les personnes qui nous ressemblent, que ce soit par leur culture, leur religion, leur langue, leur origine sociale… ou leur couleur de peau.

Deux poids, deux mesures

Il y a bien deux poids, deux mesures dans l’accueil réservé aux réfugiés. En témoigne une remarque anecdotique certes, mais signifiante, qu’on a entendue dans la bouche de plusieurs commentateurs au début de la guerre en Ukraine. En parlant des réfugiés, ils avaient dit "Mais rendez-vous compte, ce sont des gens qui conduisent les mêmes voitures que nous !". Si j’étais malicieux, je ferais remarquer que les voitures les plus vendues sur le continent africain sont produites par les groupes Toyota, Volkswagen et Renault – pas tout à fait des véhicules exotiques, donc.

Ce qui est intéressant, c’est ce que cela révèle. Quand on regarde l’origine des personnes qui ont demandé l’asile en France en 2021, que constate-t-on ? Que parmi les cinq premiers pays de départ, on trouve la Guinée et la Côte d’Ivoire. Deux anciennes colonies françaises, qui ont donc une histoire commune avec la France, dont la langue officielle est le français. En ce qui concerne la Côte d’Ivoire, c’est même un pays qui compte autant de chrétiens que de musulmans. Et pourtant, de nombreux responsables politiques continuent de prétendre qu’il serait plus difficile d’intégrer ces exilés que des Ukrainiens qui méritent bien sûr toute notre solidarité, mais qui ne parlent pas un mot de notre langue – malgré leurs voitures qui ressemblent aux nôtres. Il faudrait être daltonien pour ne pas voir les raisons de ce deux poids, deux mesures.

Déconstruire les préjugés

Est-ce que cela veut dire que tous les Français sont racistes ? Non, les Français ne sont pas racistes, du moins, pas plus que les autres êtres humains. La tendance naturelle consistant à vouloir donner la priorité à ceux que nous percevons comme similaires à nous-mêmes existe dans toutes les sociétés. Mais cela ne veut pas dire qu’il faille s’y abandonner. Il me semble qu’il revient à chacun et chacune d’entre nous de faire un travail d’introspection et, si d’aventure nous identifions ce genre de préjugé, peut-être est-ce le moment d’y réfléchir et, pourquoi pas, de le déconstruire. Je crois que c’est justement à cette réflexion que nous invite Omar Sy. En revanche, les professionnels du discours qui, en pleine conscience, versent des larmes de crocodile sur les réfugiés ukrainiens tout en n’ayant par ailleurs pas une once de compassion pour les exilés qui se noient dans la Manche ou la Méditerranée méritent, de mon point de vue, que soit exposé en pleine lumière le racisme qui structure leur pensée.

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