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Paronomase, antanaclase... quand les politiques tentent de faire résonner les mots

Tous les jours, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié Mis à jour
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Clément Viktorovitch.  (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

En politique, trouver les arguments ne suffit pas : il faut aussi savoir accorder les mots. La rhétorique est une vaste discipline. Bien sûr, il faut travailler son argumentation, réfléchir aux émotions. Et, certes, il est crucial de penser à l’image que nous renvoyons. Mais en effet, l’art de convaincre se déploie également au plus près du texte, dans la sélection des mots et des sons. C'est le florilège du vendredi soir.

La paronomase, ou le jeu des sonorités

Première déclaration : celle de Jean-Baptiste Lemoyne, le secrétaire d’État chargé du Tourisme. Il était, vendredi 3 décembre, invité des "4 Vérités", sur France 2, et il insistait sur l’importance du rappel vaccinal contre le Covid-19: "On est mieux couvert quand on a le rappel et l'efficacité du rappel, il est sans appel". C’est un procédé que nous avons déjà croisé. On appelle ça une paronomase. La paronomase, c’est la figure qui consiste à utiliser dans la même phrase deux mots dont les sonorités sont proches. On la retrouve souvent dans les proverbes : "qui vole un œuf, vole un bœuf", par exemple. Ou, comme ici : "L’efficacité du rappel est sans appel".

D’ailleurs, c’est loin d’être la première fois que la proximité entre ces deux mots est utilisée dans le champ politique, comme en témoigne cette déclaration de Gabriel Attal, le porte-parole du gouvernement, le 19 octobre dernier sur RTL : "C'est très important pour les personnes qui sont éligibles de procéder au rappel. Donc ce matin, oui, je lance un appel au rappel." "Un appel au rappel": la formule est légèrement différente, mais le procédé est identique.

Quelle est la fonction politique de ce procédé ? Est-ce purement un effet de style ? Non : il y a bien un véritable impact rhétorique derrière l’effet de style. La force de la paronomase, c’est qu’elle crée un effet d’évidence. Parce que les mots se répondent, parce que les sons s’accordent, nous avons l’impression que le sens coule de source. Pour le dire en une phrase : l’élégance des résonnances amplifie la puissance du raisonnement. C’est pour cela qu’on retrouve souvent ce procédé dans les proverbes : les paronomases leur donnent une apparence d’évidence. Si, au lieu de dire "qui se ressemble, s’assemble", je dis "qui se ressemble, s’entend bien", toute la force du bon sens est perdu. Et c’est vrai aussi en politique : ces formules renforcent les plaidoyers en faveur du rappel vaccinal, tout en économisant une partie de l’argumentation.

L'antanaclase, ou le jeu des homonymes

Au-delà dans le jeu sur les sonorités, on peut utiliser deux mots dont les sonorités ne sont pas seulement proches, mais identiques. C'est ce qu'a fait, par exemple, Eric Zemmour, mardi 1er décembre, à la sortie de son interview par Gilles Bouleau. Le polémiste d'extrême droite, désormais candidat à la présidentielle, estimait que le journaliste de TF1 ne l’avait pas traité équitablement : "Monsieur Bouleau n'a pas fait son travail. Monsieur Boulot a voulu faire le malin devant ses confrères. Monsieur Boulot... n'a pas fait son boulot."

"Monsieur Bouleau n’a pas fait son boulot" : techniquement, ce n’est plus une paronomase, mais une antanaclase, soit l’utilisation d’un même mot, ou de deux homonymes, qui sont pris dans deux sens différents. L’exemple classique, c’est "le cœur a ses raisons que la raison ignore". "Ses raisons", c’est-à-dire ses motifs, ses justifications. La raison, c’est-à-dire l’intellect. En termes d’effet produit, l’antanaclase est proche de la paronomase, c’est surtout un effet d’évidence. Avec une petite nuance : comme la figure est plus visible, elle risque aussi plus facilement de devenir caricaturale.

Le risque d'en faire trop 

Avec Eric Zemmour, déjà, c’était limite. Certains jugeront la tournure bien ficelée, d’autre la percevront comme déjà trop appuyée. Mais voilà dernier extrait, on le doit à Carole Delga, présidente de la région Occitanie. Elle était l’invitée de Jean-Jacques Bourdin le 16 novembre : "Il faut laisser le temps au temps, une campagne présidentielle, c'est une course de fond et il faut justement parler du fond pour ne pas toucher le fond". Trois à la suite ! Le mot "fond" employé dans trois sens différents, c’est exceptionnel. Et c’est sans doute aussi... trop exceptionnel. Le problème, c’est que tout le monde voit la ficelle, on sent la phrase préparée à deux kilomètres, et elle en devient davantage irritante qu’impactante.

Prenons garde, donc, quand nous cherchons à employer des procédés rhétoriques : plus ils s’effacent, et plus ils sont efficaces. Pour paraphraser Gérard Colé, qui a été l’un artisans de la communication de François Mitterrand : "La rhétorique, c’est comme la chirurgie esthétique. Quand ça se voit, c’est que c’est raté."

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