L’évolution de la rhétorique anti-européenne
Tous les jours, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité.
Emmanuel Macron a prononcé mercredi 19 janvier un discours très européiste devant le parlement à Strasbourg pour lancer la présidence française du Conseil de l'Union européenne. La rhétorique anti-européenne, elle, qui conteste les décisions, voire la légitimité de l'Union européenne a, pour sa part, beaucoup évolué.
l’Europe reste, aujourd’hui, un important point de clivage dans le débat politique français. D’une part, nous avons des responsables politiques qui prônent un approfondissement de l’intégration européenne , le président de la République évidemment, mais également une grande partie des socialistes et des républicains. À l’inverse, nous avons des candidats qui plaident pour que la France récupère une partie des compétences qu’elle a délégué à l’UE , au premier rang desquels Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Mais si l’inspiration de ces discours critiques à l’égard de l’Europe est restée la même, le contenu des propositions, lui, a beaucoup changé. "J'inscris la supériorité du droit constitutionnel sur le droit européen, affirme Marine Le Pen, invitée mercredi de France Inter. Et ça me permet de constitutionnaliser le droit des étrangers qui est quand même le problème fondamental que nous avons avec le droit européen. Il nous empêche de maîtriser notre politique migratoire."
.@MLP_officiel : "On peut parfaitement rester dans l'Union européenne, en remettant l'Union européenne à sa place. Ce n'est pas un secret, je considère que l'UE est une structure supra-nationale qui est illégitime." #le79Inter #Elysée2022 pic.twitter.com/ULsByGwOpu
— France Inter (@franceinter) January 19, 2022
Changement de cap
La proposition de constitutionnaliser, c'est une proposition nouvelle pour le Rassemblement national. On se souvient qu’en 2017, Marine Le Pen tenait une ligne beaucoup plus dure et explicite, puisqu’elle entendait sortir de la zone euro, et proposer même un référendum pour sortir de l’Union européenne. À l’époque, elle affirmait d’ailleurs qu’environ 70% de son programme dépendait directement de cette rupture franche.
C’est donc un changement de cap très net, pour la candidate du RN mais elle n’est pas la seule dans ce cas ! "Le programme que voici, l'avenir en commun, quoi qu'il arrive quoi qu'il en coûte, sera appliqué, assure Jean-Luc Mélenchon le 3 janvier sur France Inter. Et si l'Union européenne s'oppose, à ce moment-là nous pratiquerons l'opt-out. Nous dirons, nous n'appliquons plus telle règle de l'Union européenne. Par conséquent, ce que feront les Français pour la première fois, c'est de défendre leurs propres propositions et le suffrage du peuple français avant les considérations qui sont d'ordre européen." La volonté du peuple français, quand elle a été exprimée par le biais du suffrage universel, doit prévaloir sur les normes européennes. Sur le fond, la position de Jean-Luc Mélenchon n’est pas très différente de celle de Marine Le Pen. Même si elle emprunte un moyen qui, lui, est différent, puisque le candidat la France insoumise à la présidentielle dit vouloir s’appuyer sur la procédure de l’opt-out, c’est-à-dire un écart négocié avec le droit communautaire.
Rester sur une ligne de défiance
Mais surtout, c’est là aussi une évolution très nette par rapport aux propositions qui étaient portées en 2017 : Jean-Luc Mélenchon parlait alors d’engager un bras de faire avec l’UE pour réformer les traités et, en cas d’échec, d’en sortir, purement et simplement : c’était le fameux plan A / plan B.
Les propositions de ces deux candidats sur les questions européennes ont évolué dans le même sens. Sur un plan rhétorique ces positionnements sont particulièrement adroits. Ils permettent à Jean-Luc Mélenchon et à Marine Le Pen de rester sur une ligne de défiance, voire de rejet, à l’égard de l’UE : c’est important pour toute une partie de leur électorat. Et en même temps, ils évitent d’avoir à soulever le spectre d’une sortie de l’Union européenne, dont la présidentielle de 2017 a montré qu’elle est un repoussoir pour un grand nombre de citoyens. Des propositions habiles donc, d’un point de vue rhétorique. Reste désormais à déterminer si elles sont réalistes sur le plan politique et juridique : ce sera tout l’enjeu du débat qui s’est ouvert aujourd’hui !
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