La rhétorique de Kylian Mbappé
Tous les soirs, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité.
La rhétorique est partout, pas seulement dans la politique mais aussi dans le football. À l'occasion du match du jeudi 7 octobre de l'équipe de France contre la Belgique, à Turin, on se penche sur la rhétorique de Kylian Mbappé. L’attaquant français, adulé depuis la Coupe du Monde 2018, star du Paris Saint-Germain, est sous le feu des critiques. Le penalty manqué contre la Suisse à l’Euro. Les velléités de transfert pour le Real Madrid cet été. Et puis des bruits persistants selon lesquels il serait devenu orgueilleux. Il fallait réagir pour soigner son image. Un enjeu footballistique, certes mais aussi rhétorique !
Une grande interview dans l’Équipe le 4 octobre, un entretien dans l’émission de Jérôme Rothen sur RMC : Kylian Mbappé a choisi de s’exprimer longuement, et de répondre, en creux, à toutes les critiques qui le ciblent. On le dit mauvais camarade ? Il insiste, au contraire, sur l’importance du collectif.
"J'ai toujours essayé de ménager le collectif, parce que si j'ai obtenu ce statut c'est grâce aux différents collectifs que j'ai eus. J'ai jamais voulu égratigner le collectif pour m'élever moi-même. Le seul intérêt qu'on a, c'est de faire briller le Paris Saint-Germain."
Kylian Mbappéà RMC
Pendant toute la première partie de l’interview, sur RMC, il évoque davantage les équipes et les joueurs avec lesquels il joue que lui-même. Et c’est finalement assez subtil : parler des autres, c’est, en creux, une excellente manière de répondre à ceux qui l’accusent de jouer trop personnel.
Le traumatisme de l'Euro
Pour s'en sortir, il a choisi une stratégie simple : "Pour l'Euro, on s'est loupés. On s'est loupés sur tous les aspects. On a raté notre compèt. On s'est complètement loupés et je me suis loupé aussi."
Alors, on serait tenté de penser qu’il n’y a là aucune rhétorique : Kylian Mbappé se contente de décrire les choses comme elles sont. Mais ça n’en est pas moins habile. Il aurait pu tenter de minorer l’échec, chicaner, expliquer que contre la Suisse il s’en est fallu d’un cheveu, mais non. Il concède massivement ce qui lui paraît difficile, sinon impossible à défendre, afin de pouvoir passer très vite à autre chose dans l’entretien. Sur un plan rhétorique, c’est un parfait réflexe.
Cela va être un fil rouge sur tout l’entretien : briser cette image d’orgueilleux, qui commençait à lui coller à la peau.
"Tu fais un mauvais match : le dire ce n'est pas une critique, c'est une vérité. T'es pas bon, t'es pas bon. Je ne suis pas têtu, je ne vais pas m'entêter à dire 'Oui tout ce que je fais c'est bien'. Non, désolée de le dire mais des fois, j'ai fait de la merde, et j'en ferai encore. Tu ne peux pas aspirer être un joueur qui va rester dans l'histoire et fuir parce que tu es critiqué, ça n'a aucun sens !"
Kylian Mbappéà RMC
Alors, là aussi, on a en apparence des choses très simples : Kylian Mbappé se contente de confesser ses erreurs et ses imperfections. Cela n’a l’air de rien, mais il s’agit d’une véritable tradition rhétorique ! On a même un nom beaucoup trop compliqué pour cela : on appelle ça un chleuasme, qui est le terme pour désigner la figure de la modestie, qui permet de s’attirer la sympathie. C’était un procédé très utilisé au Sénat Romain à l’époque de la République : deux millénaires plus tard, il n’a rien perdu de son actualité. Et d’ailleurs, c’est une véritable constante chez Kylian Mbappé. Voilà comment il réagit à toutes les critiques qu’on lui rapporte, qu’elles viennent des journalistes, des joueurs ou des supporters : "Je suis au clair avec les critiques, c'est comme ça, ça fait partie du job. J'accepte, c'est normal qu'il y ait de la frustration, je comprends, c'est compréhensible."
Pas une seule fois Kylian Mbappé ne rentre dans la polémique, ne cherche à contester, il ne se plaint pas, il ne rend pas les coups, et c’est plutôt habile : cela lui permet de renforcer encore son image de modestie et d’humilité.
"J’accepte, c’est comme ça. C’est dommage car les gens ne connaissent pas la personne que tu es, mais je suis tranquille avec ça."
— Rothen s'enflamme (@Rothensenflamme) October 5, 2021
Critiqué par moments, Kylian Mbappé refuse de "faire la victime" et "accepte", mais trouve ça "dommage d'être attaqué sur sa personne". #rmclive pic.twitter.com/EAXINNqCc8
Alors, quand on voit la cohérence de ses réponses, et qu’on sait l’enjeu que représentait cet entretien, on peut se dire qu’il y a sans doute au moins réfléchi. Mais surtout : le travail et l'authenticité ne sont pas antinomiques ! C’est précisément le malheur de l’expression publique : s’il est possible de paraître sincère tout en étant hypocrite, l’inverse est vrai. On peut parfaitement être authentique… et échouer à le montrer ! Il est tout à fait possible que Kylian Mbappé soit aussi sympa dans la vie qu’il ne le semble dans cet entretien. Mais même alors, comment réussir à nous en convaincre ? Eh bien il fallait une intervention impeccable de maîtrise et de cohérence : c’est ce qu’il nous a proposé.
Et finalement, c’est pour nous une morale importante. Qui que nous soyons, que nous ayons tort ou raison, cela ne change rien. Pour emporter la conviction, les honnêtes gens n’ont pas moins besoin de rhétorique que les crapules !
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