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Jean-Michel Blanquer sur l'allocation de rentrée scolaire : bon sens et mensonge ?

Tous les soirs, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité.

Article rédigé par franceinfo - Clément Viktorovitch
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Education Nationale. (ALEXIS SCIARD / MAXPPP)

Dimanche dernier, sur France 3, le ministre de l’Éducation était interrogé par Francis Letellier sur l’allocation de rentrée, cette aide financière apportée aux familles modestes pour payer les fournitures scolaires. Mais alors, ne serait-il pas préférable de la verser sous forme de bons d’achat, pour éviter les fraudes ?  

Ce n'est pas une question de fraude. Si on regarde les choses en face, on sait bien que parfois il y a des achats d'écrans plats plus importants au mois de septembre qu'à d'autres moments

Jean-Michel Blanquer

dans l'émission Dimanche en Politique

Cette phrase est factuellement fausse. Comme nous le révèlent nos confrères de Libération, les mois d’août et septembre sont précisément ceux où la vente de téléviseurs est la plus basse. Et plus généralement, comme le rappelle la cellule Le Vrai du Faux sur franceinfo, l’allocation de rentrée scolaire est bien utilisée massivement par les familles pour acheter des fournitures selon plusieurs études des Caisses d'Allocations Familiales.

Un débat récurrent   

Cette proposition revient immanquablement chaque année. À tel point qu’on en trouve une trace dans le discours de Jean-Michel Blanquer lorsqu'il parle "d’écran plat".  Autour de moi, plus personne ne dit "écran plat" depuis des années... et  ce n’est pas un hasard : c’est le député de droite Edouard Courtial qui disait déjà en 2008, "l’allocation de rentrée ne doit pas servir à acheter un écran plat". Depuis, la formule n’a même pas été actualisée, c’est dire si ce cliché a la vie dure. 

Jean-Michel Blanquer n'a d'ailleurs pas mis fin à la polémique, en maintenant plus ou moins ses propos au micro de Rémy Buisine pour le média Brut. "C'est évident que ce n'est pas dans 100% des cas que l'argent est dépensé par les enfants", estime le ministre de l'Éducation nationale, "ce sont des dépenses qui augmentent au mois de septembre, ce sont des choses qui se démontrent". 

C'est raté, ce ne sont toujours pas des choses qui se démontrent. 48h après la première déclaration, on est en droit de commencer à se poser la question de la frontière entre l’erreur et le mensonge.  

Mais surtout, il y a ce petit mot : "c’est évident". En rhétorique, il s’agit très explicitement d’un appel au bon sens, comme, d’ailleurs, le "on sait bien" de sa première déclaration. Cela fait partie de ces petites expressions de type "franchement, honnêtement, tout le monde voit bien que...". C’est ce que l’on dit quand on veut s’épargner d’avoir à prouver ce que l’on affirme. Convoquer les évidences : c’est le contraire d’une argumentation rigoureuse.  

Le ministre repris sur ses arguments

Le ministre de l'Éducation Nationale, repris sur sa démonstration, a même été obligé de trouver un autre argument qui ne manque pas de piquant. 

Bien entendu, à partir du moment où vous donner de l'argent à l'ensemble des personnes (...), si vous m'affirmez que 100% de ces dépenses est toujours faite pour 100% des enfants, c'est moi qui vais vous demander de le prouver.

Jean-Michel Blanquer

à Brut

La phrase commence par "bien entendu", qui est encore une autre manière de s’abriter derrière le bon sens. Mais on a surtout cet argument : "Prouvez-moi que 100% de l’allocation est toujours bien utilisée". Et ça, c’est problématique, cela revient à dire : sur les trois millions de familles qui bénéficient de l’allocation de rentrée, il doit bien y en avoir une, quelque part, qui l’utilise pour acheter autre chose que des fournitures. Ce qui est possible, mais après tout peu importe 

Les décisions politiques ne se prennent pas en se fondant sur des cas marginaux mais sur des faits sociaux. Pour que l’argument de Jean Michel Blanquer soit valable, il faudrait pouvoir démontrer que le phénomène dont il parle est significatif : cela, il n’en a jamais apporté la preuve.  

Prises de position anecdotiques ou véritables préjugés ?

En rhétorique, poser une question, c’est déjà sous-entendre que la question se pose ; se demander s’il ne vaudrait pas mieux verser l’ARS en bons d’achat, implicitement, cela revient déjà à insinuer que les familles modestes seraient profiteuses, dépensières, incapables de gérer leur budget et de s’occuper de leurs enfants.  

Tous ces préjugés ont d’ailleurs été mis en évidence par le sociologue Denis Colombi, dans son livre Où va l’argent des pauvres. Fantasmes politiques, réalités sociologiques. Peut-être pourrait-on en conseiller la lecture à Jean-Michel Blanquer : cela lui ferait au moins une source sur laquelle s’appuyer !  

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