Emmanuel Macron : la République, c’est lui ?
De l’adresse et une ligne rouge : voilà comment pourrait se résumer l'intervention du président de la République depuis le tarmac de l’aéroport d’Orly.
Mardi 14 juin, avant de s’envoler vers la Roumanie, le président de la République s’est adressé aux Français depuis le tarmac de l’aéroport d’Orly. Un discours électoral dont les éléments de langage interpellent. De l’adresse et une ligne rouge : voilà comment on pourrait résumer cette intervention. L’adresse d’un Président en campagne, qui sait trouver les mots pour gagner des voix. Et une ligne rouge que, ce faisant, il franchit peut-être. Mais commençons par le commencement.
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L’objectif d’Emmanuel Macron, c’est bien évidemment de tenter de sauvegarder sa majorité à l’Assemblée nationale après un premier tour qui le met en difficulté. Une majorité, certes… mais pas n’importe quelle majorité : "une majorité solide afin d'affronter tous les défis de l'époque et de bâtir l'espoir." Affronter les défis de l’époque et bâtir l’espoir : c’est beau une tirade de film hollywoodien, mais nous avons l’habitude désormais, Emmanuel Macron a utilisé ce type de formule vagues et ronflantes durant toute la campagne.
Majorité solide, majorité… absolue ?
Et il y a surtout cette expression, "une majorité solide" : qu’est-ce que cela veut dire ? Alors, sur le fond, rien de très original : cela veut dire une majorité absolue, tout simplement ! 289 députés au moins, ce qui conférerait au Président l’assurance, ou presque, de faire passer ses lois en toute sérénité. Sur la forme, en revanche, c’est habile. Parce que, dans "majorité absolue", on entend le mot "absolu", qui pourrait évoquer la "monarchie absolue" et nous renvoyer aux critiques dont a déjà fait l’objet la pratique du pouvoir d’Emmanuel Macron. Alors que "majorité solide" : c’est une expression qui ne charrie que des images positives, elle suggère l’expérience et la stabilité, elle est rassurante… Bref, en rhétorique, c’est ce que l’on appelle une substitution connotative : le remplacement d’un terme par un autre, mieux adapté au contexte. La voilà, l’adresse dont je parlais.
La ligne rouge vient juste après, au moment où Emmanuel Macron conclut sa (courte) intervention : "Ni abstention, ni confusion, mais clarification. Dimanche aucune voix ne doit manquer à la République. Dimanche, je compte sur vous pour doter le pays d'une majorité solide pour affronter les défis de notre époque." Emmanuel Macron en appelle au "sursaut républicain". Cette expression a une histoire. C’est celle qui est utilisé dès le 21 avril 2002, pour appeler à la mobilisation afin de battre Jean-Marie Le Pen à l’élection Présidentielle. Il y a quelques jours, la Première Ministre Elisabeth Borne, renvoyait déjà la Nouvelle Union Populaire et le Rassemblement National dos-à-dos, en utilisant l’expression vague "les extrêmes". Là, le Président de la République va plus loin : il sous-entend clairement que l’alliance rassemblée derrière Jean-Luc Mélenchon serait une menace pour la République, au même titre que l’ancien Président du Front National, multi-condamné pour apologie de crime de guerre, contestation de crimes contre l’humanité, provocation à la haine, à la discrimination et à la violence raciale.
Comme si le camp présidentiel disposait du monopole de la raison
Mais il y a pire. Il y a cette phrase : "Pas une seule voix ne doit manquer à la République." Dimanche, Elisabeth Borne prétendait déjà détenir "le seul projet de cohérence et de responsabilité" : comme si le camp présidentiel disposait du monopole de la raison. Là encore, Emmanuel Macron va plus loin. Il parle comme s’il était le seul à pouvoir se prévaloir des valeurs de la République. Comme si tous les autres mouvements étaient anti-républicains. Entendez-moi bien. Que le débat politique soit dur, acharné, violent même parfois, c’est normal. Mais c’est un débat. Il suppose que l’on accepte la légitimité, pour ses adversaires à proposer un projet alternatif.
Pour que la démocratie fonctionne, il existe un minimum sur lequel il faut être d’accord : c’est la légitimité à ne pas être d’accord. C’est précisément ce que dénie le Président de la République ici : la légitimité à ne pas penser comme lui. Il y a quelques années, sous le coup de la colère, Jean-Luc Mélenchon avait vociféré "La République, c’est moi". Il avait reçu, à juste titre, une pluie de condamnation. C’est exactement ce que vient de dire Emmanuel Macron. Mais il le fait depuis l’Elysée. La tête froide. Et à quatre jours d’une élection. Voilà, la ligne rouge dont nous parlions.
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