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CHRONIQUE. Le mirage des discours "antisystème"

Clément Viktorovitch revient chaque semaine sur les débats et les enjeux politiques. Dimanche 26 novembre : l’élection de Javier Milei en Argentine et la victoire de Geert Wilders aux Pays-Bas, deux hommes qui se revendiquent comme "antisystèmes".
Article rédigé par Clément Viktorovitch
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Le président élu en Argentine, Javier Milei, à Buenos Aires le 20 novembre 2023 (MARTIN ZABALA / XINHUA)

Javier Milei en Argentine, Geert Wilders aux Pays-Bas, mais aussi Donald Trump aux États-Unis et Jair Bolsonaro au Brésil… Ces dernières années ont été marquées par le succès indéniable, partout, des postures dites "antisystèmes". Un mot dont il est parfois difficile de retrouver la généalogie. Il arrive qu’il soit mis en avant par les candidats eux-mêmes – c’est le cas, notamment, pour Javier Milei. Mais il semble également que, en d’autres contextes, ce qualificatif s’impose dans le commentaire journalistique, sans avoir nécessairement été utilisé par les politiques eux-mêmes.

Il existe, en science politique, une définition très connue, qui remonte aux années 1960 : celle du chercheur italien Giovanni Sartori, pour qui les partis antisystèmes sont ceux qui contestent la légitimité même du système politique dans lequel ils s’inscrivent. Le problème, on le voit tout de suite, c’est que cette définition s’applique très mal aux partis dont nous parlons, qui ne cherchent pas à renverser les régimes politiques, mais au contraire, revendiquent vouloir prendre et exercer le pouvoir. Aujourd’hui, le caractère "antisystème" désigne donc autre chose. Non plus une proposition politique. Mais, plutôt, un positionnement rhétorique.

On retrouve chez ces différents politiciens un thème similaire : l’idée que le candidat se dresserait contre une petite élite, tout à la fois politique, économique et médiatique, qui se serait organisée pour confisquer le pouvoir des mains du peuple, et aurait emprisonné le débat public dans la chape de plomb d’un discours dominant, voire d’une pensée unique.

Intérêt stratégique et posture antisystème

D’un point de vue stratégique, c’est très clair : ce positionnement permet, comme le remarque la chercheuse Lucie Raymond, d’agréger les ressentiments des citoyens, en pointant du doigt un responsable aussi fantomatique qu’anxiogène. Le problème, c’est qu’une fois définie ainsi, la rhétorique antisystème n’est en rien limitée aux candidats que l’on se plait à fustiger comme antisystème…

En France, on la trouve bien sûr dans le discours du Front national, puis du Rassemblement national, dont elle est une signature. On peut aussi en trouver des accents chez Jean-Luc Mélenchon, mais aussi chez Nicolas Sarkozy, en octobre 2016, en pleine campagne pour la primaire des Républicains ou même chez Emmanuel Macron, en juillet 2016 quand il lance sa candidature à la Mutualité.

Mais si tout le monde est antisystème, le mot n'a plus vraiment de sens. Prenez LE responsable politique antisystème par excellence : Donald Trump. Un magnat de l’immobilier, star de la téléréalité, qui a passé toute sa vie à fréquenter les cercles de pouvoir économique, politique et médiatique. S’il existe quoi que ce soit que l’on puisse qualifier de système, lui en fait assurément parti ! C’est une pure posture. Une manière d’englober tous ses concurrents derrière un mot épouvantail, "le système", pour se prétendre seul du côté du peuple.

Un abri pour échapper à ses responsabilités

Le problème, c’est que cette fiction rhétorique a des conséquences politiques. Elle agit comme un bouclier déloyal, qui transforme les revers en atouts. Quand des affaires qui frappent ces candidats, au lieu d’être la marque de leur improbité, elles deviennent au contraire la preuve ultime qu’ils dérangent le système ! On le voit bien, en ce moment, avec Donald Trump, dont les différentes inculpations ne gênent en rien sa campagne présidentielle. Au contraire même : elles accréditent son discours, selon lequel il serait la cible de "l’establishment" américain. En France, on a l’exemple de François Fillon, qui avait mis en avant un prétendu "cabinet noir" qui aurait été derrière l’affaire Pénélope. Cette rhétorique ne permet pas seulement de manipuler la colère des citoyens – une colère parfois légitime d’ailleurs. Elle offre aussi, aux responsables politiques, un abri bien commode pour tenter d’échapper à leurs responsabilités.

Peut-être pourrions-nous donc, collectivement, être un peu plus prudents quand nous reprenons ce qualificatif sans prendre la peine de l’interroger. Quant aux responsables politiques qui se drapent dans cette rhétorique, y compris en France, ils feraient bien de réfléchir un peu aux émotions qu’ils remuent, et aux discours qu’ils légitiment.

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