CHRONIQUE. Faut-il être plus sévère face à la violence des jeunes ?
Le Premier ministre Gabriel Attal en a appelé à un "sursaut d’autorité" face à la violence de la jeunesse. Le maire de Bézier, Robert Ménard, a lui décidé de l’instauration d’un couvre-feu pour moins de 13 ans entre 23h et 6h du matin. Mais pour vous, de telles idées pourraient se révéler contre-productives. Un tour de vis sur la jeunesse : c’est ainsi que l’on pourrait résumer le climat actuel. Le Premier ministre veut une école plus stricte avec les élèves perturbateurs, des parents davantage responsables des actes de leurs enfants et une justice plus sévère à l’égard des mineurs délinquants. Des annonces qui font suite à la série de faits divers dramatiques qui ont marqué l’actualité ces dernières semaines : l’agression de Samara et les meurtres de Philippe, Zakaria et Shemseddine.
Devant de tels faits divers, la question semble effectivement se poser : faisons-nous face à une jeunesse de plus en plus violente ? Pour y répondre, il faut aller au-delà des faits divers, aussi dramatiques soient-ils, pour regarder les statistiques. S’agissant spécifiquement des homicides, on constate effectivement une légère hausse du nombre de victimes depuis 2016, de l’ordre de 3% par an. Mais la part des mineurs parmi les coupables reste stable : ce n’est donc pas un problème spécifique à la jeunesse.
"Un discours ni neuf ni étayé scientifiquement"
En revanche, dès qu’on regarde la délinquance dans son ensemble, le tableau s’éclaircit. Le sociologue Christian Mouhanna, chercheur au CNRS, rappelait cette semaine dans le journal Le Monde que, ces dernières années, on observe plutôt une baisse notable du nombre de mineurs condamnés pour crimes ou délits. Ses mots sont très clairs : "Le discours consistant à fustiger des 'mineurs délinquants de plus en plus jeunes et de plus en plus violents' n’est ni neuf, ni étayé par des résultats scientifiquement prouvés".
Il n’y aurait donc pas une spécificité de la période actuelle ? Non, et c’est ce que montrent très bien l’historienne Véronique Blanchard et l’historien David Niget. Dans une tribune publiée cette semaine, elle aussi dans le journal Le Monde, ils montrent que les discours alarmistes sur la délinquance des jeunes n’ont jamais cessé depuis le XIXème siècle. En 1907, par exemple, le quotidien Le Petit Journal s’inquiétait déjà du "fléau de la délinquance juvénile, toujours plus violente, plus nombreuse, plus précoce". Or, précisément, pourquoi le maire de Bézier, Robert Ménard, en vient-il à instaurer un couvre-feu pour les moins de 13 ans ? Parce qu’il y aurait, selon lui, "des enfants de plus en plus jeunes dans la rue et surtout de plus en plus violents".
"C’est le même argument, mot pour mot, depuis des générations. Hélas, sans qu’aucune étude sérieuse ne vienne l’étayer."
Clément Viktorovitchà franceinfo
C’est en tout cas la conclusion à laquelle aboutissent les chercheurs que je viens de citer. Le seul problème, c’est que ces calculs ne seront pas sans effets sur les enfants eux-mêmes. Revenons sur ce que le Premier ministre a annoncé pour la justice des mineurs. Il envisage notamment d’atténuer l’excuse de minorité. Les adolescents ayant entre 16 et 18 ans pourraient donc être jugés plus souvent comme des majeurs, ils seraient envoyés en détention plus facilement et pour des durées plus longues. Or, en octobre dernier, la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse, un organe officiel du ministère de la Justice, a justement rendu un rapport sur l’emprisonnement des mineurs. Elle estime qu’il s’agit, pour les jeunes, d’une expérience déstructurante, qui entraîne une dégradation de leur hygiène de vie, des traumatismes fréquents, et une augmentation du risque de suicide.
Des conclusions partagées par l’Unicef, l’agence des Nations Unis consacrée à la protection de l’enfance. Pour l’Unicef, le projet du gouvernement risque de "porter atteinte aux principes fondamentaux" du droit de l’enfant.
L'efficacité des sanctions mises en doute
Ces mesures doivent prévenir les risques de récidive. Mais c'est loin d'être le cas. Le journaliste Richard Mendel a publié en décembre 2022 une synthèse de la recherche anglophone sur l’enfermement des jeunes. Il dresse le même constat qu’en France : "L’incarcération des jeunes nuit à leur santé physique et mentale, entrave leur réussite scolaire et professionnelle, et les expose souvent à des abus". Mais au-delà, il s’est intéressé à la question de la récidive des mineurs incarcérés. Il cite quantité d’études qui convergent dans le même sens : quand on allonge les peines de prison des adolescents, on augmente le risque qu’ils récidivent.
La réforme souhaitée par le gouvernement, pour répondre à cet accroissement de la violence des jeunes dont il n’est pas établi que cela soit une réalité, pourrait donc bien avoir pour conséquence… d’accroître la violence des jeunes, en plus de nuire directement à leurs droits et à leur intégrité.
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