Christiane Taubira : le nombre pour seul discours ?
Tous les jours, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité.
Christiane Taubira a été désignée dimanche 30 janvier candidate à l’élection présidentielle à l’issue de la Primaire populaire. Près de 400 mille personnes ont participé à ce vote. Avec, en creux, une question : le nombre suffit-il à porter une candidature ? C’est en tout cas ce que semble penser Christiane Taubira ! Elle avait promis qu’elle ne serait en aucun cas une candidate de plus à gauche. Aujourd’hui, c’est pourtant le cas, puisque son nom vient rejoindre ceux d’Anne Hidalgo, Yannick Jadot, Jean-Luc Mélenchon et Fabien Roussel.
Elle était lundi matin l’invité de franceinfo. Voyons ce qu’elle répond quand on lui demande ce qui justifie sa candidature : "Je suis une candidate de plus pour celles et ceux qui considèrent qu'un processus démocratique, cela ne vaut strictement rien du tout. Qu'un demi million de personnes qui s'inscrivent et qui votent, cela ne vaut rien du tout. (...) Soit on accepte que le processus démocratique a du sens dans notre démocratie : moi, c'est mon parti pris. Le processus démocratique a du sens, c'est le plus gros socle de légitimité citoyenne."
Il n’y a rien de moins objectif qu’un nombre
Ainsi, pour Christiane Taubira, les choses sont claires : la primaire à laquelle elle a participé a rassemblé le plus de personne et elle est donc la plus légitime. Cela s’entend… à quelques nuances près. Car en rhétorique, il n’y a rien de moins objectif qu’un nombre. Ici, Christiane Taubira nous parle "d’un demi-million" de citoyens. Certes. Encore peut-on remarquer qu’elle a choisi d’exprimer cette valeur en millions, et en arrondissant au supérieur. Mais si on s’accorde plutôt à dire qu’elle porte les espoirs de 390 000 personnes, sachant qu’il y a 45 millions d’électeurs en France, le nombre paraît soudain moins important.
D’autant que tout dépend aussi de la valeur de référence que l’on prend pour établir une comparaison. La primaire populaire a, certes, rassemblé quatre fois plus de votant que la primaire écologiste. Mais c’est six fois moins que la primaire socialiste qui, en 2012, a désigné François Hollande. Donc, certes, Christiane Taubira a pour elle l’argument du nombre. Mais il ne s’agit en rien d’un argument définitif.
Quelle légitimité les autres candidates et candidats de gauche sont-ils en mesure de lui opposer ? En fait, une légitimité démocratique, eux aussi : Yannick Jadot a été désigné par une primaire, Jean-Luc Mélenchon a rassemblé plus de sept millions de voix en 2017, et Anne Hidalgo a été désigné par le PS, qui est historiquement un grand parti de gouvernement. Mais également, une légitimité programmatique : certains de ces candidats ont mis sur la table un ensemble de propositions précises. A côté de cela, quelle est la colonne vertébrale du programme porté par Christiane Taubira ? Trois mots ont été martelés lors de son discours de victoire : république, justice, solidarité !
Ajoutons-y quelques petites fioritures pour faire le liant – démocratie, autonomie, libertés – et voilà le discours de Christiane Taubira. Notons que toutes ces occurrences ont été récoltées sur dix-sept petites minutes de discours…
De grands noms, de grands concepts mais pas de propositions
Ces mots ne sont évidemment pas anodins : ce sont des concepts mobilisateurs, c’est-à-dire de jolis mots creux et vides, qui parlent à tout le monde, tout en ne disant rien de précis à personne. Mais hier soir, Christiane Taubira ne s’est pas contentée de mobiliser de beaux concepts : elle s’est aussi abritée derrière de grands noms : "Ces grandes figures sont celles de Jean Jaurès, celles de Léon Gambetta, celles de Léon Blum, celles de Pierre Mendès France, celle de François Mitterrand (...) Je pense à Olympe de Gouges, Sophie de Grouchy et Condorcet, ses idéaux se sont aussi ceux de Solitude, ceux d'Aimé Césaire." Une galerie de portraits donc, les grandes figures historiques de la gauche, qui permettent certes de mobiliser l’émotion des auditeurs, en l’occurrence leur enthousiasme, mais ne constituent pas le début du commencement d’une proposition.
Alors, certes, Christiane Taubira commence à peine sa campagne. Mais c’est précisément tout le problème : nous sommes fin janvier. Elle ne nous a presque rien dit de ses propositions concrètes. Il lui reste à peine quelques semaines pour : les articuler, nous les présenter, et parvenir à les imposer. Alors, certes, elle peut revendiquer la légitimité du nombre. Mais le nombre suffit-il à fonder un discours et justifier une candidature ? Nous le verrons bien : après tout, les électeurs trancheront.
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