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En Turquie, la présence des millions de réfugiés syriens suscite de plus en plus d'hostilité dans la société

A plusieurs mois d’élections qui s’annoncent difficiles pour le prĂ©sident Erdogan, l'opposition dĂ©nonce la situation des migrants syriens notamment et propose de les renvoyer Ă  Damas, malgrĂ© la guerre.

Article rédigé par franceinfo - Anne Andlauer, édité par Xavier Allain
Radio France
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Le prĂ©sident turc Recep Tayyip Erdogan lors d'un discours au manoir de Vahdettin Ă  Istanbul, en Turquie, le 8 mai 2021. (MUSTAFA KAMACI / ANADOLU AGENCY / AFP)

La Turquie est le pays qui accueille le plus de rĂ©fugiĂ©s au monde : 3,7 millions de Syriens sont prĂ©sents, selon un chiffre officiel, qui grimpe Ă  5 millions, si l'on ajoute les rĂ©fugiĂ©s d’autres nationalitĂ©s, notamment des Afghans. Or, dans la sociĂ©tĂ© turque, leur prĂ©sence suscite de plus en plus d’hostilitĂ©, que l’opposition tente d’instrumentaliser Ă  un an d’élections qui s’annoncent difficiles pour le prĂ©sident Erdogan. 

Alors, pour tenter d’apaiser ce sentiment anti-rĂ©fugiĂ©s, les autoritĂ©s turques ont pris une mesure inĂ©dite : les Syriens enregistrĂ©s dans le pays n’ont pas le droit de faire l’aller-retour avec la Syrie pendant les fĂȘtes de fin du ramadan, qui ont commencĂ© ce 2 mai, comme une petite partie d’entre eux le faisaient chaque annĂ©e.

Cette dĂ©cision est intervenue aprĂšs une Ă©niĂšme polĂ©mique dĂ©clenchĂ©e par le principal parti d’opposition, le CHP, le Parti rĂ©publicain du peuple, crĂ©Ă© par Mustafa Kemal AtatĂŒrk. Son dirigeant, Kemal Kiliçdaroglu, a promis, une fois de plus, de renvoyer tous les Syriens chez eux en cas de victoire aux Ă©lections de l’an prochain, alors que les autoritĂ©s – Ă  commencer par le prĂ©sident Erdogan – rĂ©pĂštent jusqu’ici qu’il n’est pas question de les renvoyer contre leur grĂ©, tant que leur pays ne sera pas en paix.

"Entre le paradis et l’enfer"

Cette surenchĂšre anti-rĂ©fugiĂ©s inquiĂšte beaucoup Shady Eed, un artiste syrien qui vit Ă  Istanbul depuis 10 ans. Ce denier n’avait pas prĂ©vu de rentrer en Syrie pour l’AĂŻd el-Fitr. Mais les polĂ©miques Ă  rĂ©pĂ©tition dans l’arĂšne politique et sur les rĂ©seaux sociaux renforcent chez lui le sentiment d’ĂȘtre "coincĂ©" dans un entre-deux. Il utilise le mot "Araf" qui signifie, dans l'Islam, l’endroit situĂ© entre le paradis et l’enfer : le purgatoire.

"C’est la situation de ceux qui ont quittĂ© la Syrie. En Turquie, si vous vous habillez bien, on dit : 'Regardez ces Syriens, ils prennent du bon temps !' Quand vous n’ĂȘtes pas bien habillĂ©, on dit : 'Regardez leur accoutrement, ils ne savent pas se tenir !' Quand vous trouvez un emploi, on dit : 'Et voilĂ  encore un Syrien qui vole notre travail !'’ Quand vous ne travaillez pas, on dit : 'Quels fainĂ©ants, ces Syriens !' MĂȘme si j’ai fait un doctorat en Turquie, mĂȘme si je suis artiste et mĂȘme si je parle plusieurs langues, je suis coincĂ© Ă  Istanbul. Je ne peux pas quitter la ville pour faire des recherches universitaires. Je ne peux pas quitter le pays pour exposer mes Ɠuvres ailleurs. En Europe, de toute façon, personne ne veut de nous... Quoi qu’on fasse, c’est sans issue", dĂ©plore-t-il.

Comme les autres Syriens de Turquie, le peintre ne bĂ©nĂ©ficie pas du statut de "rĂ©fugiĂ©" Ă  proprement parler, mais d’une "protection temporaire". Une protection qui, certes, lui offre des droits, tels que l'accĂšs aux soins, Ă  l’éducation, au marchĂ© du travail, mais avec d’immenses lacunes. Ce statut l’empĂȘche par exemple de sortir de sa province d’enregistrement, Ă  savoir Istanbul. Shady et ceux de ses compatriotes qui ne souhaitent pas participer Ă  l’un des programmes de "retour volontaire" en Syrie mis en place par les autoritĂ©s turques sont donc bel et bien coincĂ©s, physiquement et mentalement. Et vu l’attitude de l’opposition, l'artiste apprĂ©hende beaucoup la campagne pour les Ă©lections lĂ©gislatives et prĂ©sidentielle de juin 2023.

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