Aux États-Unis, Los Angeles veut restituer un terrain à une famille noire, 100 ans après son expropriation
Le comté de Los Angeles compte rendre un terrain aux descendants des Bruce, un couple noir américain. Ils y avaient construit un village de vacances avant d'être expopriés dans les années 1920.
Il y a presqu’un siècle, aux États-Unis, une famille noire de Manhattan Beach, une communauté du sud de Los Angeles au bord du Pacifique, s’est faite expulser de son terrain pour des raisons contestables et contestées. Aujourd’hui, alors que le pays fait face à son histoire de discriminations, le comté de Los Angeles envisage de rendre le terrain aux descendants de cette famille. Un terrain qui vaudrait 75 millions de dollars.
Un resort pour les Noirs américains pendant la ségrégation
En 1912, Charles et Willa Bruce, un couple afro-américain, rachète pour 1 225 dollars de l’époque un bout de terrain au bord de l’océan, à Manhattan Beach. Ils y construisent un village de vacances destiné aux Noirs qui, en raison de la ségrégation, n'ont accès qu'à très peu de plages. Le resort est un succès. On peut y boire, danser, profiter d’une journée au bord de l’eau. D’autres Afro-américains s’installent à côté de l'établissement.
Sauf que certains Blancs vivant alentours n’apprécient pas le nouveau voisinage. Le Ku Klux Klan crève les pneus des visiteurs, tente de mettre le feu à un bâtiment et harcèle les Bruce. Le couple tient bon. Mais en 1924, c’est la ville de Manhattan Beach qui les exproprie sous prétexte qu'elle a absolument besoin d’un parc près de la plage. Le couple ne récupère que 14 000 dollars de compensation. Ce fameux parc n’est finalement construit que dans les années 1950, parce que la ville avait peur d’être attaquée en justice. Depuis 1995, c’est le comté de Los Angeles qui a la propriété du parc, où se trouve le centre d’entraînement des maîtres-nageurs.
Pas un "cadeau", mais une réparation
Le contexte actuel aux États-Unis, où le mouvement Black Lives Matter a obligé le pays à faire face à son passé raciste – et son présent – a donné un coup d’accélérateur au combat des Bruce. Le thème des "réparations", une compensation pour les Noirs descendants d’esclaves, est revenu en force. Une responsable du comté de Los Angeles a insisté sur le fait qu’il ne s’agissait pas d’un "cadeau" mais de justice.
Sauf qu’il faut passer par une loi au niveau de l’État de Californie pour cela, quelques mois supplémentaires de patience seront donc nécessaires. Ensuite, la famille Bruce pourra faire ce qu’elle voudra. Revendre le terrain dans cette communauté très cossue où chaque maison du front de mer vaut plusieurs millions de dollars, puisqu'on parle d’un prix de 75 millions de dollars pour le parc. Elle peut aussi garder le terrain ou le louer au comté pour qu’il reste tel quel et s’assurer un revenu annuel.
Mais tout cela va bien au-delà d’une affaire d’argent, car la famille Bruce n’a pas obtenu d’excuses formelles de la part de la ville de Manhattan Beach. La maire s’y refuse. Peut-être pour éviter toute future poursuite judiciaire, mais aussi parce que d'après la maire, la communauté ouverte et tolérante d’aujourd’hui n’est pas responsable des erreurs commises il y a un siècle. Un argument qu’on entend souvent, même si les descendants des victimes, eux, continuent à payer le prix, des générations plus tard.
À noter tout de même que la ville a attendu 2006 pour installer une plaque commémorative reconnaissant l’héritage des Bruce. Mais le message sur la plaque appelle à l’harmonie entre les peuples sans faire allusion clairement à ce qu’il s’est passé. Ensuite, la ville compte à peine 1% de Noirs dans sa population aujourd’hui. L’histoire des Bruce renvoie directement à cette fameuse "richesse générationnelle", cet argent dont n’ont pas hérité leurs descendants qui auraient pu enrichir la communauté noire et diversifier Manhattan Beach. Et comme l’a rappelé, un sénateur de Californie, l’histoire de cette famille à qui on a volé le "California Dream", le rêve californien, n’est sans doute pas unique à travers le pays.
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