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L’UE veut protéger à la fois les secrets d’affaires et les lanceurs d’alerte

L’Europe avait-elle besoin de légiférer sur le secret des affaires pour protéger les entreprises contre le vol d’informations? Des révélations comme celles des "Panama papers" seront-elles encore possibles avec la nouvelle directive ? Alors que le Parlement européen s’apprête à voter un texte qui protège mieux les journalistes et les lanceurs d’alerte, les opposants appellent toujours à son rejet.
Article rédigé par Anja Vogel
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
  (Le procès contre le lanceur d'alerte Antoine Deltour s'ouvre le 26 avril au Luxembourg © Maxppp)

Sauf changement d’agenda, on saura jeudi 14 avril si les députés européens estiment pouvoir protéger à la fois, d’un côté les "secrets d’affaires" des entreprises, de l’autre les lanceurs d’alerte et les journalistes poursuivis en justice pour les avoir divulgués. Leurs intérêts sont tellement contradictoires que le défi semble impossible à relever, et suscite des oppositions de toutes parts. Mais si la France avait accepté de retirer ce point de la loi Macron, elle n’ignorait pas qu’il s’imposerait sans doute bientôt à l’ensemble des États membres de l’UE.

En tout cas l’eurodéputée française Constance Le Grip (Les Républicains, membre du Parti Populaire Européen), rapporteure du Parlement européen, estime y être arrivée. Elle explique en quoi cette "directive sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites" est une nécessité :

"En 2013 on estime qu’une entreprise européenne sur quatre a fait état d’au moins un vol d’informations (contre 18% en 2012)" . Et de citer Michelin, Valeo ou Dyson.

Il ne lui accorde "aucune protection absolue du secret d’affaires ". En cas de litige elle devra "au préalable prouver qu’il a été obtenu, utilisé ou divulgué de manière illicite ". Et surtout, le Parlement européen a "bataillé pour que la directive n’affecte pas l’exercice du droit à la liberté d’expression et d’information. Les journalistes et les lanceurs d’alerte sont clairement exclus de l’application de toute mesure de sanction. A condition que leur comportement de révélation ait été mené pour la protection de l’intérêt public" .

Virginie Rozière est elle aussi satisfaite de cette formulation. L’eurodéputée du groupe socialiste était pourtant opposée au texte initial. Elle parle désormais d’un "bon compromis, un texte équilibré et nécessaire ", notamment dans les pays où les législations ne protègent pas les lanceurs d’alerte, comme au Luxembourg. "Si la directive était déjà en vigueur, Antoine Deltour ( à l’origine des révélations de Luxleaks sur les arrangements fiscaux des multinationales au Luxembourg) ne pourrait pas y être poursuivi aujourd’hui" , assure-t-elle.

De même que les travailleurs contre les risques liés à la mobilité professionnelle, les eurodéputés y ayant introduit le principe selon lequel "un employé qui, ayant honnêtement et légitimement obtenu des compétences et une certaine expérience, notamment technique, ne pourrait s’en voir limiter l’utilisation en vertu de cette directive ".

Parce que "les problèmes fondamentaux restent les mêmes. En effet, dans sa version actuelle, ce texte crée toujours un droit au secret pour les entreprises qui est excessif : il menace directement le travail des journalistes et de leurs sources, les lanceurs d’alerte, la liberté d'expression des salariés et nos droits à accéder à des informations d’intérêt public, comme celles qui concernent les médicaments, les pesticides, les émissions des véhicules, etc. ", souligne le collectif 'Informer n’est pas un délit' , dont la première pétition, initiée par Elise Lucet, ne-laissons-pas-les-entreprises-dicter-l-info-stop-directive-secret-des-affaires-tradesecrets a recueilli 526.000 signatures.

Françoise Dumont, présidente de la Ligue des Droits de l’Homme, souligne les risques de condamnations à des peines de prison et à des amendes de plusieurs centaines de milliers d’euros. Et s’inquiète :

"Si la directive est approuvée au niveau européen, les États membres pourront encore aller plus loin quand ils l'adapteront à leurs droits nationaux, et on peut compter sur les multinationales pour les pousser en ce sens ."

En tout cas, affirme-t-elle, "Antoine Deltour, qui s'est vu décerner, par le Parlement européen, le prix 2015 du citoyen européen, ne serait pas protégé par cette directive, pas plus que le journaliste de Cash Investigation Edouard Perrin, également poursuivi dans l’affaire Luxleaks. Leur procès s'ouvre le 26 avril prochain devant le tribunal correctionnel de Luxembourg. De même ce texte donnerait au cabinet d'avocats Mossack Fonseca, au coeur du scandale des "Panama papers", des arguments juridiques pour poursuivre en justice les médias qui publieraient ses informations internes ". Et Françoise Dumont d’appeler François Hollande, qui vient de remercier les lanceurs d’alerte et la presse pour leur travail, de les soutenir publiquement.

Le collectif a annoncé le lancement d’une deuxième pétition contre la directive qui a déjà recueilli plus de 117.000 signatures, et qui exhorte les eurodéputés à "rejeter ce texte dangereux ": https://act.wemove.eu/campaigns/les-lanceurs-d-alerte-en-danger. Si les eurodéputés donnent leur feu vert, l’accord de compromis élaboré avec le Conseil sera adopté dès la première lecture.

Les 28 auront alors deux ans pour la transposer dans leurs législations nationales.

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