Le télescope géant Alma ouvre ses yeux sur le cosmos
La mise en service, lente et progressive, du télescope géant Alma marque peut-être une rupture dans l'histoire de l'astronomie. Si il est bien difficile de prédire la destinée d'un instrument scientifique, celui-ci, en tout cas a, pour de nombreuses raisons, toutes les chances d'entrer au Panthéon technologique des astronomes. La démesure du projet rappelle un peu, en physique, le LHC du CERN. Avec Alma, on entre dans l'Univers international de la big science à un milliard de dollars, et à la planification planétaire. Alma est supporté par l'Europe, via l'ESO (Observatoire européen austral), les Etats-Unis via la NSF (National Science Foundation), par le NAOJ japonais (National Astronomical Observatory of Japan) et enfin des instituts scientifiques du Canada, de Taïwan et du Chili.
Alma est un instrument de rupture : il n'existe pas dans le monde quelque chose d'approchant, de comparable, comme nous allons le voir.
Alma, pour Atacama Large Millimeter Array, sera, lorsqu'il sera achevé, dans quelques années, un réseau de soixante six antennes, mesurant 7 à 12 mètres de diamètre, et fonctionnant toutes en phase. Cet interféromètre est destiné à observer le rayonnement submillimétrique et millimétrique (entre 0,3 mm et 9,6 mm de longueur d'onde).
Le réseau Alma, relié spatialement par fibre optique et temporellement par des horloges atomiques, fonctionne donc comme un « télescope virtuel », constitué de la somme des surfaces de chaque antenne, et offrant le pouvoir de résolution, c'est à dire la capacité de détecter des détails à la surface des astres, donné par le diamètre de l'ensemble. C'est un super calculateur, à raison de dix millions de milliards d'opérations par seconde, qui recombine, à partir des données enregistrées par chaque antenne, l'image de l'astre observé.
Le plateau de Chajnantor, dans les Andes chiliennes, où se trouve Alma, est un endroit presque unique au monde. Situé à plus de 5000 m d'altitude, il offre une surface de plus de 200 kilomètres carrés, permettant au réseau de s'étendre sur une quinzaine de kilomètres !
Un télescope de 15 km de diamètre, dans le domaine de longueur d'onde submillimétrique, offre une résolution, comme disent les astronomes, de l'ordre de 0,005'', c'est dix fois mieux que le télescope spatial Hubble !
Si la résolution, c'est à dire la précision, des images est directement fonction du diamètre du télescope et de la longueur d'onde observée, le pouvoir collecteur, c'est à dire la capacité d'enregistrer de faibles flux de rayonnement, est fonction, lui, de la surface du miroir du télescope. Là aussi, Alma est sans concurrence. Sa surface collectrice totale (c'est à dire l'addition des surfaces de toutes ses antennes) approchera 7000 mètres carrés et même près d'un hectare si l'instrument, comme l'espèrent les scientifiques, s'agrandit à terme jusqu'à 80 antennes...
En outre, le site de Chajnantor, à plus de 5000 mètres d'altitude, offre à Alma des conditions d'observation presque « spatiales ».
Enfin, Alma entre en service à une époque charnière : nous vivons actuellement la fin du cycle de construction des télescopes optiques géants de la décennie 1990-2000, comme le Very Large Telescope (VLT) et ses quatre télescopes de 8,2 m de diamètre. Nous assistons aussi à la fin programmée du télescope spatial Hubble. La prochaine génération de « super télescopes » est en attente... Difficultés technologiques, problèmes économiques, le futur géant européen, le E-ELT de 40 mètres de diamètre, est désormais prévu pour le début de la décennie 2020... Parallèlement, le coût stratosphérique du successeur de Hubble, le JWST de 6 mètres de diamètre, retarde aussi son lancement.
Alma va donc découvrir et arpenter presque seul, une décennie durant, l'Univers froid, étoiles, systèmes planétaires, galaxies en formation, dans un domaine de longueur d'onde où il n'aura rigoureusement aucune concurrence...
Reprenons : Alma est sensible aux rayonnements submillimétriques et millimétriques. Le submillimétrique, c'est de l'infrarouge lointain, observé avec les moyens de la radioastronomie. Pour fixer les idées, rappelons que l'oeil humain, et par extension les télescopes dits « optiques », est sensible entre 0,4 micromètre et 0,8 micromètre de longueur d'onde environ, c'est à dire entre le violet et le rouge. Au delà, s'ouvre le domaine de l'infrarouge. Hubble et la plupart des grands télescopes, comme le VLT, sont sensibles en infrarouge entre 1 et 5 micromètres. L'infrarouge moyen et lointain, grosso modo entre 10 micromètres et 100 micromètres, ne sont observables que dans des conditions exceptionnelles, sur Terre (désert d'Atacama, Antarctique) ou depuis l'espace. Ce domaine de longueur d'onde, entre « l'optique » au sens général du terme, et le « radioélectrique » a été la toute dernière fenêtre ouverte sur le ciel par les astronomes, dans les années 1980. En ouvrant une fenêtre sur les phénomènes froids – une étoile est invisible en rayonnement millimétrique – Alma, avec sa puissance phénoménale, offre aux astronomes un champ d'observation et de découverte extraordinaires. Le froid, en effet, c'est la complexité. C'est là que se joue la création des mondes. Dans les volutes des nébuleuses, où des molécules fragiles, discrètes et subtiles sont créées, autour des étoiles, où naissent les planètes, et, après le big bang, dans le gaz primordial, où se condensent les premières galaxies. Avec Alma, peut-être, nous verrons se former les premières galaxies, voici 13,5 milliards d'années, nous verrons émerger les planètes autour des jeunes étoiles, nous observerons l'agencement des fragiles molécules prébiotiques dans quelque lointain laboratoire cosmique.
Alma, c'est un regard nouveau sur la naissance des mondes...
En plus de sa sensibilité et de son pouvoir de résolution hors-norme, l'atout d'Alma, face à la concurrence, c'est son incroyable souplesse d'emploi. En observant simultanément avec ses soixante six antennes, le réseau pourra produire des images du ciel en temps réel, quand les interféromètres classiques exigent parfois des semaines ou des mois de patience aux astronomes pour obtenir une image à très petit champ. Alma, en fait, pourra être utilisé comme un télescope traditionnel, mais un télescope de 1 à 15 kilomètres de diamètre.
Reste au réseau géant international à faire ses preuves. La toute première image diffusée par l'ESO, la NSF et le NAOJ est très prometteuse : prise avec seulement douze antennes d'Alma, elle montre pour la première fois les immenses condensations de gaz froid qui existent dans la paire de galaxies en interraction NGC 4038-39. La comparaison avec l'image prise dans le domaine visible par le VLT, à droite, est édifiante. Si tout va bien, en 2015, Alma sera capable d'explorer l'Univers avec une précision dix fois plus grande encore.
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