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Le monde vu par Planck

Le satellite européen Planck vient de livrer la toute dernière image de l'Univers primordial, saisie 380 000 après le big bang. Désormais, grâce à ses données, nous savons que l'Univers a 13,8 milliards d'années d'âge. Mais notre connaissance de l'Univers primordial va t-elle encore progresser ?
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13,8 milliards d'années.

Tel est désormais l'âge officiel de l'Univers. Cette nouvelle date
de naissance de l'Univers a été révélée, entre autres
caractéristiques cosmiques, par l'équipe scientifique responsable
du satellite Planck. Mais ce n'est pas tout. Durant sa mission,
Planck a aussi affiné notre connaissance des ingrédients qui
composent le cosmos, et même sa géométrie, qui pourrait à terme,
permettre de répondre à la lancinante question " l'Univers
est-il infini ? ".


Depuis
sa lointaine orbite, parallèle à celle de la Terre, à 1,5 million
de km d'ici, le télescope spatial de l'Agence spatiale
européenne
(ESA) a scanné le ciel entier avec son télescope, un
travail qui lui a pris près de deux ans.


D'après
le " modèle de concordance ", la théorie cosmologique
qui rassemble la majorité des suffrages scientifiques aujourd'hui,
notre Univers est issu du big bang, une période, véritable
singularité de l'espace et du temps, considérée jusqu'à plus
ample informée comme son origine, où il était tout à la fois
infiniment plus dense et plus chaud. Depuis cette époque, datant de
13,8 milliards d'années d'après les modèles théoriques et les
observations astronomiques, donc, l'Univers se dilate et se
refroidit progressivement.

En remontant suffisamment tôt dans
l'histoire du cosmos, il est possible de l'observer lorsqu'il
était encore dense et chaud : le ciel actuel garde la trace de ce
passé brûlant, sous la forme d'un très faible rayonnement, dit
cosmologique, appelé aussi " rayonnement fossile ".

Ce
rayonnement invisible, car émis dans le domaine infrarouge et
millimétrique essentiellement, baigne le cosmos entier dans une
" douce chaleur " de... -270,42 °C, soit 2,73 degrés
seulement au dessus du zéro absolu (-273,15 degrés Celsius, soit 0
K). C'est
ce rayonnement infime, extraordinairement difficile à capter, qu'a
mesuré Planck en observant le ciel avec son télescope infrarouge et
millimétrique détectant simultanément neuf longueurs d'onde
différentes, de 0,35 mm à 1 cm.

Planck
est le digne héritier européen d'une histoire qui fut jusqu'ici
essentiellement américaine


Planck
est le digne héritier européen d'une histoire qui fut jusqu'ici
essentiellement américaine. L'expansion de l'Univers ?
Découverte par Edwin Hubble en Californie, en 1929. Le rayonnement
fossile ? Découvert par les chercheurs Américains Arno Penzias et
Robert Wilson, en 1964. La première " photographie " de
l'Univers primordial ? Réalisée par le satellite américain Cobe
en 1993. La plus récente et précise image de ce rayonnement
cosmologique ? Réalisée par le satellite américain Wmap en 2003...


Voilà
donc les Européens**** qui ont repris le flambeau cosmologique, cette
fois avec un satellite trente fois plus sensible et précis que Wmap.
L'Univers qu'a découvert Planck, avec une précision inconnue
jusqu'ici, est très différent du cosmos actuel, qui est très
vide et très froid. Le rayonnement fossile lorsqu'il a été
émis, témoigne de conditions radicalement différentes.

A
l'époque, 380 000 ans exactement après le big bang, d'après
les modèles théoriques, l'Univers était un brouillard dense et
lumineux, rien de ce qui brille dans le ciel aujourd'hui n'existait
: ni galaxies, ni nébuleuses, ni étoiles, ni planètes, rien, sauf
un gaz uniformément brillant, d'une température approchant 3000
degrés.

Comment, à partir de ce gaz chaud, dense, homogène,
l'Univers s'est-il structuré ? C'est à cette question que
tentent de répondre les chercheurs européens. Pour cela, Planck a
donc scanné plusieurs fois le ciel entier avec son télescope de 1,5
mètre de diamètre et les chercheurs ont mesuré et étudié les
infimes fluctuations de température du rayonnement fossile, pour
tenter d'y trouver la trace, les " grumeaux ", des
structures à venir : amas de galaxies et galaxies, nées environ 100
millions d'années après le big bang.


Pour y
parvenir, les astronomes européens ont employé les grands moyens. Une orbite lointaine, un satellite hors norme, refroidi à -273 °C,
ce qui en fait l'objet le plus froid de l'Univers – Planck est
plus froid que le vide spatial ! – et enfin une sensibilité de ses
détecteurs jamais atteinte jusqu'ici.


Restait
aux chercheurs**** un long travail de traitement des données. Car si
l'Univers entier baigne dans le rayonnement fossile laissé par le
big bang, ce très faible rayonnement est masqué, dans de nombreuses
régions du ciel, par des sources locales, actuelles, beaucoup plus
intenses : les galaxies, les étoiles, bien sûr, mais aussi et
surtout la Voie lactée, notre galaxie, avec ces immenses étendues
stellaires et gazeuses et enfin notre propre système solaire, dont
le plan de rotation est très riche en poussières interplanétaires.


En plus
de l'âge précis de l'Univers – les dernières estimations
tournaient plutôt entre 13,4 et 13,7 milliards d'années, les
données de Planck ont permis de découvrir que l'expansion de
l'Univers est légèrement plus lente par rapport aux estimations
antérieures. De même, le bilan énergétique total de l'Univers –
sa composition en matière et énergie – a légèrement changé par
rapport aux données du satellite américain Wmap : la matière
baryonique (celle que nous pouvons observer sous forme de planètes,
d'étoiles, de nébuleuses, de galaxies...) représente 4,9 % de
l'énergie totale du cosmos contre 4,5 % auparavant. La matière
noire, ce mystérieux composant invisible, qui structure le cosmos
entier et n'est sensible aujourd'hui que par ses effets
gravitationnels, représente aujourd'hui 26,8 %, contre 22,7 % pour
Wmap. Enfin, l'énorme, et tout aussi impalpable " énergie
noire " qui accélère l'expansion de l'Univers, compte
aujourd'hui pour 68,3 % du total, contre 72,8 % naguère.


On le
voit, rien de révolutionnaire...**** En fait, l'avancée cruciale de
Planck, c'est peut-être sa mesure de la géométrie de l'Univers,
qui semble euclidienne. En effet, d'après les cosmologistes, la
forme du cosmos révélée par Planck valide peut-être
définitivement la théorie de l'inflation qui veut, que, dans ses
tout premiers instants, l'Univers ait connu une phase fulgurante
d'expansion exponentielle.

L'Univers réel serait donc, selon
Planck, bien plus grand, peut-être infiniment plus grand, que le
cosmos visible auquel nous avons accès.

Du coup, même s'il a une
courbure, l'Univers apparaît parfaitement plan à Planck : en
effet, du fait de la vitesse finie de la lumière, nous n'avons accès
qu'à une distance finie dans le cosmos, puisque l'Univers est âgé
de seulement 13,8 milliards d'années. Le rayon de la " bulle "
sphérique apparente de cosmos que nous observons aujourd'hui depuis
la Terre avoisine trente milliards d'années-lumière – la distance
maximale parcourue par la lumière en 13,8 milliards d'années, plus
l'expansion de l'espace pendant ce trajet.

L'ennui, c'est qu'il est
impossible d'aller plus loin : le rayonnement cosmologique clos
cette sphère apparente et il est improbable que nous puissions
reculer plus encore dans le temps, jusqu'au big bang, sauf à
imaginer de très hypothétiques télescopes à neutrinos ou des
télescopes gravitationnels qui seraient capables de détecter des
signaux en provenance du big bang même.

Les cosmologistes doivent
donc tenter de "lire" dans les structures observées
dans le rayonnement cosmique l'état de l'Univers au moment du big
bang, 380 000 ans plus tôt : un exercice à haut risque,
surtout lorsque l'on songe que seuls 4,9 % de la matière-énergie de
l'Univers sont connus et compris aujourd'hui... Au fond, au delà du
succès technique magistral, et tout en appréciant comme de juste
les résultats scientifiques obtenus par Planck, on peut
difficilement échapper à la question : les cosmologistes
pourront-ils aller plus loin ? Oui, répondent-ils en cœur,
Planck n'a pas encore délivré tous ses résultats. La mesure de la
polarisation de la lumière du rayonnement fossile est peut-être
riche de découvertes. De même, de légers écarts à la théorie
des mesures de Planck pourraient, peut-être, ouvrir la voie à de
nouvelles découvertes, voire à la rupture dont rêvent les
physiciens. Car la peinture de l'Univers en majesté que nous offre
Planck cache mal le désarroi des scientifiques : étant trop
parfaite et trop conforme aux modèles attendus, elle n'ouvre,
aujourd'hui, sur rien de vraiment nouveau.

La matière et l'énergie
noires sont toujours aussi opaques, la relativité générale et la
mécanique quantique sont toujours aussi inconciliables, les théories
alternatives – théorie des cordes, gravitation quantique à
boucles, etc – toujours aussi inopérantes.

Signe plus fort encore
du trouble des chercheurs, certains d'entre eux considèrent
désormais que leurs théories n'exigent pas d'être confrontées aux
observations et confortées ou réfutées par elles – d'ailleurs,
elles ne le peuvent pas – et que leur élégance et leur cohérence
internes suffit.


Depuis
quatre siècles, avec les premières observations de Galilée, les
astronomes ont reculé les limites de l'Univers, dans l'espace et
dans le temps. Aujourd'hui, ils sont confrontés à une limite
spatio-temporelle indépassable, un horizon de la connaissance. La
nature, ironique, leur oppose un ciel, sphérique, qui évoque
irrésistiblement le cosmos clos des anciens.


Serge
Brunier

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