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La NASA fabrique une fusée... sans destination

La NASA construit actuellement une fusée géante et une capsule pour y accueillir des astronautes. L'engin, qui rappelle la gigantesque fusée Saturn 5 de l'âge d'or de la conquête spatiale, pourrait voler vers 2017 et emporter des astronautes dans l'espace vers 2021. Sauf que...Aucun objectif n'a encore été assigné à ce programme pharaonique à 100 milliards de dollars.
Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié Mis à jour
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Franceinfo (Franceinfo)

La Nasa vient d'annoncer le recrutement d'un nouveau contingent
d'astronautes
: quatre femmes et quatre hommes, pour la plupart anciens
pilotes militaires et non pas scientifiques de formation... Ces huit
"rookies" vont rejoindre l'impressionnant corps d'astronautes de
l'agence américaine, qui compte déjà une cinquantaine de membres ! C'est peu de
dire que ces hommes et ces femmes qui rêvent d'étoiles devront faire preuve de
patience car bien malin aujourd'hui qui pourrait dire quand ils vont s'envoler
pour l'espace, et surtout quelle sera leur destination...

En effet, depuis 2011, la Nasa ne dispose plus de lanceurs pour
transporter ses astronautes
, et doit sous-traiter ses vols habités à
l'agence spatiale russe, qui les emmène avec ses bons vieux Soyuz, en direction
de la station spatiale internationale (ISS), à 350 kilomètres au-dessus de nos
têtes. Une station spatiale à l'utilité mise en cause, non seulement par la
communauté scientifique, indifférente ou hostile à ce laboratoire de recherche
qui n'a jamais produit le moindre résultat scientifique marquant, mais aussi
par quelques-uns de ses propres concepteurs, les dirigeants de l'espace russe
reconnaissant que l'ISS tourne en rond autour de la Terre, au sens littéral,
mais aussi métaphorique de l'expression, depuis trop longtemps... De fait,
l'ISS fait aujourd'hui plus parler d'elle comme salle de concert – le clip de
l'astronaute Chris Hadfield reprenant David Bowie a fait le tour du monde à la
vitesse de la lumière... - que comme laboratoire de futurs prix Nobel...

D'où le désir des astronautes, des agences et aussi de l'industrie
spatiale de passer à autre chose
, et de se lancer dans un nouveau grand
programme de conquête du système solaire... Pour les industriels, l'objectif
est d'ores et déjà rempli : après avoir développé la défunte navette spatiale –
100 milliards de dollars – et l'ISS – pour 100 milliards de dollars de plus –
l'industrie américaine s'est vu confier en 2011 la conception d'un gigantesque
lanceur, le SLS (Space Launch System). Mais pour aller où ? Aussi étrange que
cela puisse paraître, personne à la Nasa ne peut répondre à cette question à
100 milliards de dollars... Le lancement du SLS, avant même que les objectifs
d'un tel engin ne soient fixés, avait, en 2011, fait grincer les dents des
chercheurs et ingénieurs, et fait sourire les commentateurs, la fusée géante
étant assez vite affublée d'un sobriquet très à propos, "the rocket for
nowhere". Deux ans après, la situation ne s'est pas vraiment éclaircie,
tout au contraire... La construction du SLS continue son petit bonhomme de
chemin, et l'engin volera probablement en 2017 ou 2018, pour un premier vol
habité au-delà de 2020, si tout va bien... Pour tenter malgré tout d'y voir un
peu plus clair, reprenons l'historique récent du vol habité américain.

Le début
du XXIe siècle avait connu le naufrage du célèbre programme de navette
spatiale
, qui avait coûté dix fois plus cher que prévu, s'était soldé par la
perte de deux navettes sur cinq, et avait entraîné la mort de quatorze
astronautes. Le programme avait été stoppé, avant un nouveau drame annoncé, par
le Président George W. Bush. Lequel avait promis aux astronautes, en échange,
un retour sur la Lune, un demi-siècle après Apollo. Ce programme Constellation,
jugé à l'époque "déjà vu" et surtout totalement utopique – les
astronautes devaient débarquer sur la Lune dès 2018 ou 2020... - avait été
annulé en 2010 par Barack Obama, au profit... du SLS et de vagues promesses
futuristes qui n'engageaient personne, car projetées aux années 2035-2040, soit
à une demi-douzaine de mandats présidentiels d'ici...

Depuis, plusieurs profils
de missions spatiales ont été proposés
par les industriels et les ingénieurs à
la Nasa, laquelle joue au ping-pong avec les sénateurs américains, qui décident
in fine de son budget. D'abord, avait été imaginée une mission de survol de la
planète Mars – sans atterrissage. A l'heure où des robots mobiles parcourent en
tous sens la planète rouge, comme Spirit, Opportunity et Curiosity, un tel
projet ne risquait pas de mobiliser les foules... Puis, avait été évoquée la
visite d'un astéroïde proche de la Terre ; enfin plus récemment, une idée aussi
amusante que folklorique avait été émise : il s'agissait de capturer un micro
astéroïde de quelques dizaines de tonnes afin de le mettre en orbite autour de
la Lune... Mais l'image de la fusée géante SLS s'envolant vers le ciel et
ses astronautes abordant "un autre monde" de la taille d'une
camionnette était si ridicule que ce projet a été très vite enterré. Alors,
après Mars et les astéroïdes, aujourd'hui, nous assistons au retour en force du
lobby des "lunaires", qui prônent, comme il se doit, le retour des
astronautes sur la Lune...

Dans ce contexte mouvant, la nouvelle sélection d'astronautes par la Nasa
laisse perplexe
. On ne peut pas dire, en effet, que l'agence américaine
manque d'astronautes... Parmi les cinquante membres de ce corps d'élite,
certains n'ont volé qu'une seule fois, d'autres attendent de partir pour
l'espace depuis près de dix ans ! Plus surprenant encore, l'âge moyen de ces
nouveaux prétendants est de 37 ans. Au rythme actuel de l'évolution du
programme spatial américain, et de la liste d'attente devant la billetterie
spatiale, quand peuvent-ils espérer voler ? Au-delà des péripéties financières
– la Nasa fonctionne à budget constant depuis une décennie, 18 milliards par
an, en gros, et n'a pas les moyens d'engager un programme aussi pharaonique que
le débarquement sur la Lune ou sur Mars - au-delà du principe de réalité – le
SLS et sa capsule offrant le volume d'une salle de bain, ce système ne
permettra pas, en l'état, de vols aux long cours – cette valse-hésitation,
entre Lune, Mars et astéroïdes, ne pose-t-elle pas, surtout, la question des
buts de la présence de l'homme dans l'espace ?

Serge Brunier

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