Les secrets de la vie de Jeanne Duval, la maîtresse de Charles Baudelaire, enfin révélés

On ne connaissait rien, ou presque, de Jeanne Duval, muse du poète Charles Baudelaire. Coïncidence ou plagiat ? Un siècle et demi après sa mort, deux publications concomitantes révèlent les détails de la vie de la Vénus noire.
Article rédigé par Marie Dupin
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4min
Le tableau "Jeanne Duval, la maîtresse de Baudelaire, couchée" (1862) d'Edouard Manet lors de l'exposition "Modèles noirs : de Géricault à Matisse" au musée d'Orsay à Paris le 25 mars. 2019. (FRANCOIS GUILLOT / AFP)

Pendant 25 ans, Jeanne Duval fut à la fois la muse, l'amie et la maîtresse de Charles Baudelaire. Une passion entrecoupée de séparations orageuses et de torrides retrouvailles. Le plus célèbre recueil de Baudelaire Les fleurs du mal, condamné pour outrage à la morale et aux bonnes mœurs aurait été largement inspiré par Jeanne Duval. Pourtant, si ce n’est son surnom "la vénus noire", jusqu’à présent on ne savait presque rien de Jeanne Duval, pas même son véritable nom, la maîtresse de  Charles Baudelaire se faisant appeler tantôt Jeanne Proster, Jeanne Duval ou Jeanne Lemer.

Mais comme le raconte l'AFP, jeudi 9 mai, deux publications concomitantes révèlent enfin les détails de la vie de Jeanne, et le secret de son patronyme. Grâce notamment à un professeur de français de Strasbourg, Ali Kilic, un féru de généalogie qui après de nombreuses recherches infructueuses, est finalement parvenu à retrouver dans des registres d’état civil un acte de décès, au nom d’une certaine Florinne, Jeanne, Gabrielle, Adeline, Prosper, morte en 1868, en Seine-Saint-Denis. Puis, dans les registres des passagers, la trace de son arrivée au Havre, le 21 juillet 1821, trois mois après la naissance de Charles Baudelaire, à bord du voilier Grand Amédée, aux côtés de sa mère et de sa sœur. Un faisceau d’hypothèses très probables qui permettent notamment d’identifier la dédicace J.G.F, Jeanne Gabrielle Florine, que l’on retrouve sur deux poèmes de Baudelaire, L'Héautontimorouménos, et Les paradis artificiels.

Ces nouvelles découvertes seront publiées dans l’édition 2024 de l’année Baudelaire qui rassemble chaque année toutes les nouvelles recherches sur le poète. Un délai fâcheux pour Ali Kilic puisque  l'écrivaine Catherine Choupin, spécialisée dans les muses d'artistes, livre elle aussi peu ou prou les mêmes informations dans Révélations sensationnelles sur Jeanne Duval, la muse de Baudelaire, ouvrage auto-édité paru le 27 avril 2024. "Je ne sais pas si c'est du plagiat ou du vol, mais [Catherine Choupin] a repris certaines informations de ma recherche", assure Ali Kilic, encore sous le coup de la "déception". "Ou alors c'est vraiment une coïncidence de date assez incroyable...", avance-t-il. 

Une forme de réhabilitation

Ce qui compte dans cette affaire, c’est qu’on parle enfin Jeanne Duval, à qui Baudelaire voulut tout léguer lors de sa tentative de suicide ratée, à l'âge de 24 ans, car disait-il, il n’avait trouvé de repos qu’en elle. Jeanne Duval qu'on a tenté d'effacer littéralement des mémoires et de l’histoire, Gustave Courbet lui-même ayant tenté de la faire disparaître de l’un de ses tableaux où elle apparaissait aux côtés de Baudelaire. Charles Baudelaire dont les biographes, aveuglés par leur racisme, affirmaient qu’"à part sa race" Jeanne Duval "n’avait rien de remarquable, ni le talent, ni la beauté ni l’esprit." Une femme présentant "tous les défauts des métisses, sournoise, menteuse, débauchée", "Une minable figurante" ayant "converti l'art du poète à la nuit". Oui mais comme le dit joliment Régine Abadia dans son documentaire intitulé "la femme sans nom", si c’est Jeanne Duval qui a converti Baudelaire à la nuit c’est tout à son honneur. Car c’est aussi elle, qui lui a inspiré ses plus beaux vers. Ceux des Bijoux, de La Chevelure, ou de L'héautontimorouménos, poème dont le titre signifie en grec "bourreau à soi-même", où Baudelaire écrivait : "Je suis la plaie et le couteau ! Je suis le soufflet et la joue ! Je suis les membres et la roue, Et la victime et le bourreau !"

Des vers dont Jeanne Duval, la "sorcière aux yeux alléchants", n'a certainement pas à rougir, puisqu’aujourd’hui, comme les sorcières, le temps qui passe la réhabilite. D’ailleurs si vous allez au Musée d’Orsay allez donc admirer ce fameux tableau de Courbet l’atelier du peintre, où sa silhouette effacée, avec le temps qui passe, est peu à peu réapparue aux côtés de celui qui l’aimait à la fureur.

 

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