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Culture d'info. Stéphane Sirot : "En France, le dialogue social relève de l'infirmité"

L'historien des conflits sociaux constate avec désolation que le conflit sur le projet de réforme des retraites confirme une fois de plus ce qui est un mal français.

Article rédigé par franceinfo, Thierry Fiorile
Radio France
Publié
Temps de lecture : 3min
Un commerce fermé le long du parcours de la manifestation contre la réforme des retraites, le 5 décembre 2019. (MARIE MAGNIN / HANS LUCAS)

La France, contrairement à certains de nos voisins européens, est-elle handicapée du dialogue social ? Stéphane Sirot, spécialiste de l'histoire et de la sociologie des grèves, du syndicalisme et des relations sociales, est formel : dans les entreprises, les branches d'activité patrons et syndicats parviennent à signer des accords, mais c'est avec le pouvoir politique que la fabrique du consensus est difficile, sinon impossible.

franceinfo : La France est-elle handicapée du dialogue social ? 

Stéphane Sirot : Il ya une vieille problématique en France qui est cette difficulté du pouvoir politique à accepter la remise en question de ses projets par les corps intermédiaires. Cette espèce d’infirmité qui est la nôtre, elle est aujourd’hui toujours à l’œuvre. Emmanuel Macron considère, il l’a dit, que le dialogue social, c’est fait pour les entreprises, mais que ce n’est pas fait au niveau de l’Etat pour négocier sur le contenu d’éventuelles lois.  

L’histoire de France, depuis la libération, est-elle une suite de rendez-vous manqués en terme dialogue social ? Comme le projet de nouvelle société de Jacques Chaban-Delmas…  

Nous sommes dans un pays qui historiquement s’est construit sur ce que j’appelle la régulation conflictuelle des rapports sociaux. Il y a eu effectivement quelques courts intermèdes où on a pu essayer de construire une société dans laquelle des compromis pouvaient être possibles, l’exemple de la nouvelle société de Chaban-Delmas en est un, mais il se trouve que quoique l’on fasse pour le moment, il existe trois grands acteurs dans les rapports sociaux, qui n’ont pas la volonté à mon sens, de sortir de la régulation par le conflit.

Ces trois grands acteurs, c’est l’appareil d’État, qui, comme je le disais, a le plus grand mal à ce que des corps intermédiaires puissent contester ses décisions; C’est le patronat, qui dans notre pays a cette particularité d’avoir le plus grand mal à  accepter l’action syndicale à l’intérieur des entreprise ; Et puis du côté du champ syndical, une bonne partie de celui-ci, la Cgt qui est le syndicat historique et une bonne partie d’organisations, se sont construites elles-mêmes sur l’idée que seul le rapport de force peut permettre d’obtenir des droits nouveaux ou d’arrêter la remise en question des conditions de travail.

Cela tiendrait à notre nature profonde ? On oppose souvent la France pays latin, aux pays scandinaves, de culture protestante, qui ont plus le sens du compromis ?

On peut prendre des exemples très simples. Au Pays-Bas, ils ont des instances qui font que, dès lors qu’il veut faire passer une loi dans le domaine social, comme les retraites, le gouvernement doit passer au préalable, dans des instances dans lesquelles siègent des représentants des organisations syndicales et si ces instances considèrent que le projet de loi du gouvernement n’est pas satisfaisant, elles le retoquent et le gouvernement est obligé de revoir sa copie et de proposer autre chose.

Aux Pays-Bas, je crois qu’ils ont mis deux ou trois ans avant de pouvoir faire passer cette réforme, parce qu’à chaque fois, les instances dédiées renvoyaient au gouvernement la copie qui était la sienne, et qui n’était pas jugée satisfaisante. Chez nous, on n’a pas ça. Et les partenaires sociaux pourraient très bien, via le conseil économique, social et environnemental faire la même chose, sauf que cette instance ne possède pas ce pouvoir-là.                      

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