Culture d'info. Pierre Lemaitre : "Les périodes de chaos renvoient chacun de nous à sa propre vérité"
L'écrivain qui publie "Miroir de nos peines" chez Albin Michel, boucle sa trilogie commencée avec "Au revoir là-haut" en 2013. Son roman picaresque qui se passe en 1940, en pleine débâcle, résonne avec notre époque.
Écrivain et scénariste français, Pierre Lemaître a reçu le prix Goncourt en 2013 pour son roman Au revoir là-haut et un César pour l'adaptation de cette même oeuvre en 2018. Il vient de publier Miroir de nos peines chez Albin Michel, dernier volet de sa trilogie sur les deux guerres. Un roman qui fait écho à notre époque. Psychologue de formation, autodidacte en littérature, il travaille d'abord dans la formation professionnelle des adultes et comme à vivre de sa plume à partir de 2006.
franceinfo : Qu’est-ce qui vous fascine dans les périodes de chaos ?
Pierre Lemaitre : Chacun va y trouver sa vérité. Plus l'atmosphère est chaotique, remuante, cataclysmique et plus chacun de nous est renvoyé à sa propre vérité. C'est une période de profiteurs parce que c'est une période de manque. Dès qu’il y a du manque, il y a du profit et du marché noir. Quand vous regardez un peu l'histoire de l'exode, les premiers jours, la fraternité entre les gens est assez forte. Et puis, très vite, le tissu social se distend. Le verre d’eau commence à coûter 10 francs. Une pomme coûte huit francs cinquante. On n'a pas de lait pour les enfants et chacun vit pour soi. Et la France est renvoyée à une somme d'individualités imperméables les unes aux autres.
Ça, ça raisonne terriblement avec notre époque ?
En 1940, on a des camps de réfugiés ici en France. Les réfugiés sont des Belges et des Luxembourgeois qui ont été chassés par les armées nazies. Mais au bout d'un moment, les Français n'accueillent plus les étrangers parce qu'ils sont eux-mêmes en situation de manque. Et comme tous leurs repères se sont effondrés, au fond, au lieu d'être gouvernés par leurs valeurs, les Français sont gouvernés avant tout par leurs peurs et par leurs terreurs.
C'est par atavisme que vous avez cette empathie pour les gens du peuple ?
Je crois que j'écris sur les strates dont je suis issu. Je pense que c'est aussi pour cela que j'ai de l'affection pour mes personnages, de la compassion pour eux. Je pense, oui, que c'est directement mes origines qui parlent, là.
Ce sont des gens qu'on a méprisés ces dernières décennies ?
Ce sont des gens qu'on a méprisés, des gens qu'on a oubliés, ce sont des gens qu'on a chassés. Je viens des Trente Glorieuses, à une époque où on pouvait espérer que nos enfants auraient une vie meilleure. Or, aujourd'hui, on leur livre une planète dont on sait qu'elle va être beaucoup plus difficile à vivre que celle que nous avons vécue. Toute une génération a été oubliée, toute une strate sociale a été oubliée, un peu méprisée et encore aujourd'hui, elle a bien du mal à se faire entendre.
Mais c'est cette génération qui crie le plus fort aujourd'hui?
Absolument. Je pense que c'est elle qui, d'une certaine manière, représente le mouvement social, le peuple, là, parle d'où il est.
Les technocrates n'entendent pas ?
Les technocrates les entendent, mais les technocrates ont la certitude qu'ils pensent mieux. Ce sont principalement des gens qui sont absolument convaincus d'être plus intelligents que les autres parce qu'ils ont fait des études. Ils ont simplement un peu plus de savoirs, mais ils confondent volontiers le savoir avec l'intelligence.
C'est le cas de notre président ?
Je pense qu'il se croit quelqu'un de tout à fait spécial. Il pense même que le fait qu'il soit arrivé aussi jeune à la présidence de la République est la preuve, d'une certaine manière, de son talent. Peut-être même de son génie politique.
Est-ce que ça rend le présent un peu plus acceptable de regarder dans le rétroviseur comme vous le faites?
Je ne pense pas que ça le rend plus acceptable, mais ça le rend plus compréhensible. Ce qui est très difficile dans les périodes comme les nôtres, où les repères s'effondrent assez facilement, où les grands récits ont fait faillite, c'est de se repérer, de comprendre ce qui nous arrive. Et c'est vrai que l'histoire permet de nous donner des marqueurs qui nous permettent, je crois, de mieux saisir la complexité dans laquelle nous sommes inscrits.
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