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Futurs médecins : "Le cœur à gauche, le portefeuille à droite"

Reportage à Nantes chez les futurs médecins, les internes en médecine. Une profession tiraillée entre l'idéal du métier et des valeurs héritées de leurs parents, souvent médecins eux aussi. Décryptage et analyse avec Patrick Pelloux, président de l'Association des médecins urgentistes de France.
Article rédigé par Olivier Emond
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
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Une promo d'internat à la fac de médecine de Nantes (Loire-Atlantique), c'est près de 90 personnes qui deviendront médecins généralistes à l'issue du semestre. Parmi eux, certains ont choisi d'être urgentistes. Ils ont 28 ou 29 ans, ils ont fait dix ans d'études. Et n'ont "jamais parlé politique" entre eux.

J'ai passé la soirée avec un couple et deux amies qui se connaissent bien. Frédérique, 29 ans, pourtant "très politisée" , juge trop périlleux d'en discuter entre amis :

"À l'internat, on se sert encore les coudes, on revient d'années d'études longues, tous dans le même bateau. Les infirmières parlent davantage politique que nous, mais au fond, c'est plutôt du syndicalisme. Nous, en pause, on veut penser à autre chose." 

"On évite d'en parler"

Ne pas risquer la fâcherie, c'est ce aussi ce que dit Thomas :

"Un ami très proche vote Marine Le Pen, il me provoque parce qu'il sait que ça m'emmerde."

Thomas est juif, il ne cache pas que les opinions de ce "très bon pote" sont censées lui poser un problème. Il s'en dépatouille dans le silence et "l'humour"

Sur cette auto-censure, Patrick Pelloux voit une évolution depuis 20 ans :

"Je fais partie de la génération qui a fait ses études au milieu des années 80, début 90 et en l'espace d'une vingtaine d'années il y a eu un appauvrissement du débat politique en médecine. Il y a une crise de nos élites universitaires, c'est évident, certes, mais ça se décline aussi dans le désengagement des praticiens hospitaliers de la chose politique et de la chose syndicale. On l'a vu pendant la très mauvaise réforme de Roselyne Bachelot : alors que de plus en plus de gens évoque la dégradations des conditions de travail, le débat politique est devenu compliqué... voire tabou."

Pire, il s'inquiète :

"Cette idéologie progresse à l'hôpital. Une petite musique se joue, et sonne totalement faux avec les valeurs humanistes et déontologiques que l'on porte. Notamment dans des services sursaturés par des malades étrangers. On entend tout d'un coup régulièrement " Il y a trop de Noirs " ou " Supprimons les allocations aux plus pauvres. ""  

"La gauche, plutôt pour aider les gens"

En en discutant ce soir-là pour la première fois, Frédérique réalise qu'elle "se plante à chaque fois" qu'elle se hasarde à deviner qui vote quoi. Signe que les futurs médecins sont peu structurés par leur charpente politique ?

Claire se démarque avec des opinions politiques très affirmées ("Oui, je suis de gauche, j'ai toujours voté pareil" ) héritées de ses parents :

"La gauche qui serait plutôt là pour aider les gens, par exemple. Mon grand-père était immigré vietnamien, j'ai une grand-mère lettone. Sans doute cela a pu jouer, même si je ne peux pas dire que j'ai le sentiment que la droite s'en prenne aux asiatiques. Mais ça joue."

Œillades de tous bords... et DSK favori

Aucun des quatre internes rencontrés ne se sent faire l'objet d'œillades de la classe politique. Quand on leur dit que les médecins (200.000 personnes maximum en France contre 42 millions d'électeurs potentiels) ont longtemps été une cible de la droite, ils s'étonnent même.

Eux parient qu'un généraliste "en campagne ou même à l'hôpital, ça vote plutôt à gauche" . Le dernier sondage du Quotidien du médecin leur donne raison : début avril, avant donc le scandale de New York, Dominique Strauss-Kahndevançait Nicolas Sarkozy de cinq points (36% contre 31%) dans les intentions de vote des praticiens libéraux.

La consultation est passée de 22 à 23 euros en janvier 2011. Mais Claire se demande dans quelle mesure c'est vraiment "avec son cœur de médecin qu'elle vote" .

Ils estiment qu'ils toucheront entre 5.000 et 6.000 euros par mois dans dix ans. Comme les trois autres internes, Claire répète plusieurs fois qu'elle se sent "privilégiée, pas inquiète pour son avenir" . La moitié ont leurs deux parents médecins, les autres disent venir de familles "plutôt aisées" .

En première année d'internat, ils gagnaient un fixe de 1.300 euros net par mois, mais à quelques mois de démarrer dans le monde du travail, c'est plutôt "1.500 à 1.700 euros" , à quoi il faut ajouter les primes de garde.

Dire ce qu'on vote est plus ou moins facile

Claire affirme voter "en fonction d'une idéologie générale" , et aussi qu'elle dit facilement ce qu'elle vote. Celui qu'elle a épousé il y a un an, rencontré en démarrant la médecine, n'a pas voté comme elle en 2007. Et il a rechigné à lui avouer qui il avait choisi :

"Mon père a prononcé une fois l'expression avoir le portefeuille à droite et le cœur à gauche, je devais avoir 18 ans... Je n'avais pas réellement compris ce que ça impliquait. Aujourd'hui, je réalise que je suis complètement là-dedans."

Sarah réfléchit à haute voix, confie avec une sincérité qui bouscule un peu qu'avant, le social lui passait un peu à côté. Elle raconte que c'est la vie active et le contact avec les patients, qui la fait mûrir politiquement.  

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