C'est dans ma tête. Horreurs de l'Histoire : comment conserver la mémoire des évènements, quand les témoins auront disparu ?
Plusieurs commémorations récentes, dont celle du massacre d’Oradour sur Glane, ont mis en évidence le problème de la disparition des témoins.
Nous revenons aujourd'hui avec la psychanalyste Claude Halmos sur cette question sensible de la mémoire et de la transmission de cette mémoire de l'Histoire, après les récentes commémorations de tragédies et de massacres de notre Histoire.
franceinfo : Quel rôle jouent les témoins survivants, dans la transmission des évènements tragiques du passé, et comment conserver la mémoire de ces évènements, quand ils auront disparu ?
Claude Halmos : Le rôle de ceux qui ont survécu aux horreurs que l’Histoire leur a fait traverser, est celui de tous les témoins : ils attestent que les évènements ont bien eu lieu. Mais, s’agissant des épisodes dramatiques que nous évoquons, ce rôle est particulièrement important.
Pour quelles raisons ?
Parce que ce dont ils témoignent est, au sens propre, inimaginable, c’est-à-dire impossible, même, à imaginer. Et les rescapés des camps nazis se sont confrontés, à leur retour, à cet inimaginable : ce qu’ils avaient vécu n’était pas audible, et ils se sont tus.
Et cet inimaginable s’explique : penser que l’on a entassé des humains dans des trains, pour aller les gazer, et les brûler, ou qu’on les a coupés en morceaux, avec des machettes, dans des marais, est difficile à croire.
Et c’est sur cette difficulté qu’ont toujours joué les négationnistes.
Pourquoi a-t-on autant de mal à le croire ?
D’abord, très simplement, parce que de tels faits ressemblent à des scènes de cauchemar, ou de fiction. Et que nous préfèrerions tous croire, comme des enfants, que "ça ne peut pas arriver en vrai".
D’autant qu’admettre la réalité de ces faits, oblige à plonger dans une horreur telle, que sa simple évocation est traumatique. Donc, on préfère ne pas savoir. Et on fuit.
Quel est le rôle des témoins, par rapport à cela ?
Les témoins nous obligent à ne pas fuir. Mais ils nous permettent probablement aussi de supporter, un peu moins mal, la réalité dont ils attestent.
En fait, ils sont un peu comme des médiateurs, entre l’horreur et nous, parce qu’ils nous permettent d’appréhender l’inhumain, à partir de leur personne, donc à partir de quelque chose d’humain. Et, en même temps, comme ils ont survécu, ils introduisent une idée d’espoir, là où l’horreur dont ils témoignent annule à priori toute possibilité d’espoir.
Et quand ces témoins ne seront plus là ?
Il faudra repenser la transmission, ce que beaucoup de gens font déjà.
On parle aujourd’hui de "devoir de mémoire", en le posant comme nécessaire pour que de telles horreurs ne se reproduisent pas.
Je pense qu’il faudrait être plus radical, et enseigner, dès l’école, comme une discipline à part entière, l’histoire des massacres, des atrocités et des génocides qui ont eu lieu dans le monde, au fil des siècles. Pour montrer que la dérive vers l’inhumain est, pour les humains, un danger aussi permanent et grave que l’est la pollution pour la planète. Expliquer les mécanismes par lesquels elle peut se mettre en place, et former à la vigilance.
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