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Et si le monde de la compétition se mettait au vert, quitte à limiter les performances ?

Le navigateur Roland Jourdain vient de mettre à l'eau son catamaran "We Explore" qui participera à la prochaine Route du Rhum. Un bateau construit en fibre de lin.

Article rédigé par Catherine Pottier
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
La mise à l'eau du catamaran "We Explore", le 5 mai 2022. (BEN BIREAU / PURAVIDA IMAGES)

Comment rester compétitif tout en protégeant l'Océan et la planète ? Le 6 novembre prochain, le navigateur Roland Jourdain prendra le départ de la Route du Rhum pour la quatrième fois de sa carrière.

La Route du Rhum est une transat en solitaire entre Saint-Malo et Pointe-à-Pitre en Guadeloupe. Une épreuve qu'il a remportée à deux reprises en 2006 et en 2010. Cette fois, il va mettre les voiles à bord d'un catamaran de 18 mètres, baptisé "We Explore". Un bateau innovant sur le plan écologique puisqu'il a été construit en fibre de lin. Il a été mis à l'eau cette semaine (le 5 mai) à la Grande-Motte.                                                                

Amener la terre sur la mer 


"Mon bateau est un grand champ de lin", s'amuse Roland Jourdain. Le navigateur de 58 ans voulait être en accord avec le travail qu'il mène avec sa société KAIROS sur le développement des biomatériaux dans la course au large.

"Il faut absolument encourager l'utilisation des matériaux biosourcés dans la construction des bateaux pour limiter l'empreinte carbone."

Le navigateur Roland Jourdain

à franceinfo

Le quimpérois, aujourd'hui installé à Concarneau, a créé il y a 13 ans un fond de dotation, EXPLORE, pour aider de jeunes explorateurs à mettre au point des solutions plus vertes pour le monde de demain.

La mise à l'eau du catamaran le 5 mai à la Grande-Motte.  (BEN BIREAU / PURAVIDA IMAGES)

Roland Jourdain reconnaît qu'il a été très marqué par sa collision avec une baleine, au large du cap Horn, lors du Vendée Globe 2009. "Je n'en veux pas à la baleine", avait-il dit à l'époque, reconnaissant qu'il était sur son territoire. Depuis, "Bilou" comme on le surnomme, a beaucoup réfléchi sur l'impact de l'homme sur la planète. Aujourd'hui il souhaite que son multicoque soit en quelque sorte l'ambassadeur du monde de demain, et amène le monde de la course au large à réfléchir sur la pratique de ce sport. 

Plusieurs raisons ont amené Roland Jourdain à s'intéresser à la fibre de lin. Il faut savoir que la France est leader sur le marché mondial. Le pays détient plus de 80% de la production mondiale qu'elle exporte en majorité vers la Chine pour la confection. Le lin est cultivé sur plus de 75 000 hectares de terre, essentiellement dans les Hauts-de-France et la Normandie.

Le secteur génère plus de 250 millions de chiffre d'affaires global et emploie plus de 1300 personnes pour le teillage, qui permet de séparer les fibres textile du bois et de l'écorce, et le peignage qui permet d'éliminer tous les petits morceaux de paille et séparer toutes les fibres entre elles. 
                                                               

La mise à l'eau du catamaran le 5 mai à la Grande-Motte.  (BEN BIREAU / PURAVIDA IMAGES)

La longue histoire du lin et de la navigation 

L'exploitation de la fibre de lin pour la construction navale n'est pas récente. "Depuis des siècles, le lin a fait naviguer des milliers de bateaux, explique Roland Jourdain. En tant que coureur au large j'ai passé mon temps à imiter la nature, dit-il. Tous les navigateurs jalousent l'aileron du dauphin ou l'aile de l'albatros pour concevoir les foils ou les safrans des bateaux."

Roland Jourdain estime que le végétal est une source d'inspiration quotidienne pour la mise au point de biomatériaux. Et de prendre l'exemple de l'herbe qui ne plie pas, qui ne se couche pas et qui ne casse pas ! Roland Jourdain a longuement travaillé sur les fibres pétrosourcées avec l'université de Bretagne-Sud mais aussi l'IFREMER, l'institut français de recherche pour l'exploitation de la mer. Ils se sont rapidement aperçus que la recherche fondamentale ouvrait des voies d'expérimentation intéressantes avant d'éventuelles applications industrielles.

C'est ainsi qu'il s'est tourné vers l'exploitation de la fibre de lin. "Au début j'avais l'impression  de me retrouver dans les débuts de la fibre de carbone", dit-il. Quand on parle du lin et des matériaux composites, il faut aussi penser à la résine qui permet le collage et l'assemblage. Roland Jourdain reconnaît qu'il y a encore des verrous technologiques à lever pour que des résines 100% biosourcées soient utilisées.

Plusieurs types de résines sont exploitées sur le catamaran "We Explore", ainsi qu'un biomatériau innovant, le KAIRLIN, conçu par la société Kairos environnement à Concarneau. C'est une véritable alternative végétale au plastique type PVC. Ce biomatériau a l'immense avantage d'être recyclable et compostable.                                                                

Les biomatériaux sont-ils compatibles avec la performance ?

Roland Jourdain reconnaît sans hésiter que la fibre de carbone, qui équipe la plupart des bateaux de compétition, est de loin le matériau le plus performant car il est léger et très résistant. Le poids est l'obsession des navigateurs de compétition. Choisir la fibre de lin, c'est sortir de ce concept d'ultra compétitivité. "C'est un choix" dit-il d'un ton assumé, même s'il reconnaît que son instinct de compétiteur ressurgit parfois. 

Il estime toutefois qu'il faut peut-être réfléchir aujourd'hui à l'adaptation des règlements de la course au large. Pourquoi ne pas songer à mettre les critères environnementaux devant les critères de vitesse ? C'est un changement de paradigme qui pourrait être salutaire pour la planète.

"On s'est tous régalé à faire des régates à 5 noeuds de vitesse (10 km/h), à 10 noeuds, 15 noeuds et aujourd'hui 35 ou 40 noeuds (74km/h)" raconte Roland Jourdain .L'océan est notre terrain de jeu dit-il, on passe notre temps à vouloir repeindre la planète en vert, mais la peinture ne suffit pas, il faut passer aux actions concrètes", poursuit le marin qui estime que les principaux verrous restent les habitudes et les modes culturels.                                            

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