"C'est l'injustice qui me rend fou", confie Vincent Lindon
Le comédien, invité mardi de franceinfo, a déclaré vouloir défendre "jusqu'au bout" le film "En Guerre". Le long métrage relate un conflit social. "Ce sera un témoin", pour dire comment "souffraient nos contemporains", selon l'acteur.
Vincent Lindon continue de défendre le film En Guerre, sorti il y a quatre semaines, dans lequel il tient le premier rôle. Invité de franceinfo mardi 12 juin, l'acteur déclare considérer "le film comme le plus important de [sa] vie". Le long métrage, réalisé par Stéphane Brizé, présenté au dernier Festival de Cannes, relate un conflit social. Le comédien, interrogé sur Emmanuel Macron et son qualificatif 'président des riches, selon certains de ses détracteurs, estime qu'il s'agit d'"un raccourci". "Ce n'est pas le président des riches, c'est le président d'un monde comme il tourne aujourd'hui", estime-t-il.
franceinfo : Pourquoi voulez-vous à ce point prolonger la vie de ce film, qui a rassemblé environ 250 000 spectateurs ?
Vincent Lindon : C'est un film auquel je suis très accroché. (...) Si la vie d'une personne ou si sa façon de voir les choses change grâce à un film, ça vaudra le coup de l'avoir fait. On ne connaît pas la vie des oeuvres. Je pense que ce film-là marquera un moment et un tournant du cinéma et de l'"histoire" de la France. Dans cinq ans, dans dix ans, dans vingt ans... Je ne sais pas à quelle vitesse va l'histoire aujourd'hui avec les réseaux et le net. Peut-être que l'histoire c'est dans trois ans seulement et non pas dans trente ans. Je pense que c'est un film qui restera dans l'histoire.
Le film parle d'une mort sociale promise et de ceux qui luttent contre cette mort sociale...
J'ai découvert des choses que je ne savais pas. C'est dans la Constitution : on peut ouvrir et fermer une usine quand bon nous semble. Ils inventent des mots, dans les gouvernements successifs de tous les pays du monde : on ferme parce que l'entreprise n'est pas compétitive. C'est un faux mot. Bien sûr que l'usine est compétitive. Elle fait 18 millions d'euros de bénéfices par an. Si vous n'appelez pas ça compétitif, c'est en fait que la rentabilité pour les actionnaires, la marge n'est pas assez grande. Mais c'est comme ça que tourne le monde, aujourd'hui. C'est la marche du monde. Le drame est qu'on a affaire à des gens qui sont très censés à tous les postes. Ce que dit le DRH dans le film, c'est intelligent. Quand on écoute un patron, ça tient debout.
Dans le film, on a l'impression qu'on connaît d'avance les perdants : les salariés...
La lutte est perdue d'avance dans plein de domaines. C'est ce qu'on appelle la lutte des classes. Warren Buffet [homme d'affaires et investisseur américain] disait : "Il y a la lutte des classes et nous l'avons gagnée." J'ai toujours considéré que la culture, le cinéma, la littérature, l'art en général, même si ça change peu de choses sur la marche du monde, ça ne fait en tout cas pas de mal. Je n'ai pas la prétention de refaire le monde. Mais peut-être qu'à force de films, de livres et d'œuvres, on va faire en sorte qu'il se défasse le moins vite possible, voire qu'il ne se défasse pas du tout.
Au départ, on rêvait de faire le film. On l'a fait. Ensuite, on rêvait qu'il soit bien, ce n'était pas gagné d'avance de faire un film intelligent, qui ne soit pas manichéen, qui montre les choses telles qu'elles sont. Ensuite, on a rêvé d'être sélectionnés à Cannes. Ce n'est pas tellement gagner une compétition qui m'intéresse, même si c'est formidable, mais c'est d'y participer. Le fait d'avoir été à Cannes, ça a donné une ouverture absolument énorme au film. Sans Cannes, beaucoup de films ne voient pas le jour ou ne sont pas assez vus. Il y avait beaucoup de bons films et de grands sujets de société cette année. Il y avait le sujet des femmes, on est vraiment en plein dedans en ce moment, enfin. Il y avait le film de Spike Lee, qui traite du racisme. Il y avait un film qui traitait de l'homosexualité. Ensuite, il y a un film qui parle du monde du travail. Cen n'est pas le domaine le plus sexy, le monde du travail et le syndicalisme. Certains sujets sont très en avant, à certains moments.
"En guerre" est un film politique ?
Tout est politique. Ma présence ce matin est politique. Je veux qu'il soit vu. Exactement comme quand on aime un livre, on a envie de le faire lire à ses enfants. C'est un film politique. J'épouse la cause, bien que ce soit un film qui ne soit pas manichéen. Je pense qu'on peut, comme dans un couple, être deux à avoir raison. Humainement, j'ai plus envie de défendre la cause des ouvriers. C'est l'injustice qui me rend fou. Donc, des gens à qui on promet de les garder pendant cinq ans dans leur emploi et à qui on dit au bout de deux ans que c'est fini... J'ai plus envie de défendre des gens qui ont été trahis, qui ont fait des efforts et finalement ils n'ont pas été respectés, que des gens qui par cynisme, économie ou obligation, en ont mis d'autres à la porte.
Emmanuel Macron est-il le "président des riches" ?
C'est un raccourci. Ce n'est pas le président des riches, c'est le président d'un monde comme il tourne aujourd'hui. J'ai fait un film, je ne sais pas s'il [le Président de la République] l'a vu et s'il ne l'a pas vu, ça n'a aucune espère d'importance. Aujourd'hui, la politique qui est mise en œuvre est une politique sur l'autel de la souffrance d'énormément de travailleurs, donc de la colère et c'est un monde extrêmement violent. C'est un film qui montre ce qu'il se passe aujourd'hui. Je pense que la politique suivie aujourd'hui va dans le sens des patrons du film et pas des ouvriers. Lui, il suit les évènements du monde. Les ouvriers subissent ça, mais aussi les gens d'en haut. Personne ne se lève le matin en se disant 'chouette, je vais virer mille personnes'. Il y a aussi des gens qui souffrent terriblement de faire des tâches qui vont quelque fois contre leurs convictions. C'est pour l'instant comme ça que ça se passe. Si je savais changer tout ça et qu'on pouvait entrer dans un monde où tout irait bien, ça se saurait. Mais oui, on n'est pas aidés en ce moment...
Regardez l'intégralité de l'entretien de Vincent Lindon sur franceinfo le 12 juin 2018.
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