Enquête : le mirage de la vie de château
Depuis 2017, Philippe Poinsier s’est offert 10 parts du château de la Mothe Chandeniers, dans la Vienne, pour plus de 700 euros. Au fil des années, il a participé à de nombreux chantiers bénévoles mais dit ne plus être le bienvenu sur le domaine.“Je suis venu le 5 novembre et c’est là que je me suis fait jeter”, affirme-t-il.
La raison ? D’après lui, ses questions jugées trop nombreuses,sur la gestion du lieu par Dartagnans, et notamment sur les retards de chantier. “Il y avait tout un planning avec un budget afférent en disant si on a ça, on peut faire ça, si on a ça, on peut faire ça et à chaque fois on les a remplis, tous. Et le constat ? Il n’y a rien”
Le choix du commercial plutôt que de la préservation du patrimoine ?
Face à un château encore en ruines, à la végétation envahissante, Philippe Poinsier n’est pas le seul déçu. Sur les réseaux sociaux, d’autres actionnaires s’en plaignent et s’interrogent car plus de 5 millions d’euros ont été levés auprès de 24 000 personnes. Cette femme, par exemple : "Je suis très déçue en tant que co-châtelaine de la tournure qu’ont pris les choses”. Un autre internaute accuse : “ils ont pris l’argent et le château est toujours dans un état pitoyable.”
Face à ces critiques, la société Dartagnans se défend et justifie le retard des travaux. Pour elle, la restauration de ce château du XIXe siècle est en pause, le temps de développer une activité commerciale sur le domaine, avec des hébergements touristiques et un lieu de réception, de façon à financer les travaux dans la durée.
Romain Delaume, le président et cofondateur de Dartagnans, se justifie : “dès le début du lancement du projet, nous ce qu’on mettait en avant, c’était qu’une partie du financement allait servir à l’achat, une autre partie pour la restauration et une autre partie pour le projet touristique. En fait, si on n’a pas un projet qui est pérenne et qui permet de générer des sources de revenus tous les ans, au bout d’un moment, on s'essouffle.”
Un montage financier complexe
En réalité, voilà comment fonctionne l’entreprise Dartagnans avec l’argent collecté : les dons des milliers d'actionnaires alimentent un fond de dotation, censé être d'utilité publique, ce que ne pourrait pas faire une entreprise. Cet argent est ensuite prêté aux quatre sociétés, toutes dirigées par Dartagnans, qui gèrent les quatre châteaux. Aujourd’hui, ces quatre entreprises sont donc endettées à l'égard du fonds de dotation, jusqu'à 1,6 million d'euros dans le cas de la SAS du château de la Mothe Chandeniers.
Mais aussi au château de l’Ebaupinay, dans les Deux-Sèvres, où les travaux sont à l’arrêt depuis septembre 2022, faute de moyens. Malgré les 1,7 millions d’euros levés par Dartagnans, la SAS du château est endettée, de plus de 800 000 euros, en raison de frais divers de gestion administrative ou de marketing. En 2019, Dartagnans, et sa filiale Dartagnans Développement, lui ont par exemple facturé 110 000 euros de "prestations". Quant à l'argent collecté lors des campagnes de financement, la somme est d'office réduite : Dartagnans en consacre 20% au marketing.
Christel Bourgeois a des parts dans les 4 châteaux gérés par Dartagnans. Et aujourd’hui, elle s’interroge. “On n’a pas d’informations. Toutes les assemblées générales ont deux ans de retard. Fin septembre on vient de faire celle de 2021. Pour 2022, 2023, on ne sait pas ce qu’il s’est passé”
Cette gestion qui pose question. Le fonds de dotation de Dartagnans a d’ailleurs été suspendu par la préfecture de Paris en avril 2023, pour non publication de ses comptes.
Mis en cause, Dartagnans fait amende honorable et dit prendre en compte les critiques. “Peut-être qu’on a péché par envie de multiplier les projets", reconnaît Romain Delaume. "Certainement, on aurait dû se reconcentrer sur un ou deux châteaux, plutôt que sur quatre. Ca fait partie des rôles d’un entrepreneur de parfois commettre des fautes."
En novembre 2023, Dartagnans a annoncé arrêter le financement participatif pour se concentrer sur son activité d’opérateur touristique.
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