Juppé battrait Sarkozy à la primaire : pourquoi ce sondage ne veut rien dire
Une enquête publiée par "Le Parisien" affirme que l'ancien Premier ministre dominerait largement l'ex-chef de l'Etat à la primaire de l'UMP en 2016. Mais la méthodologie du sondage a de quoi laisser perplexe.
"Le préféré, c'est Juppé." A la une du journal, dimanche 24 mai, Le Parisien semble catégorique. Sondage à l'appui, le quotidien affirme que le maire de Bordeaux "battrait Nicolas Sarkozy de dix points, lors d'une primaire à l'UMP en 2016, et s'imposerait ensuite à la présidentielle de 2017". "Ce résultat marque un tournant dans la compétition à droite", insiste Le Parisien dans ses pages intérieures. Une enquête aussitôt reprise par les agences de presse (AFP, Reuters…), ainsi que par de nombreux médias (parmi lesquels francetv info), comme le montre cette page de recherche de Google Actualités.
Une enquête portant sur (seulement) 207 sondés
Pourtant, la méthodologie employée par l'institut Odoxa, qui a réalisé ce sondage, a de quoi laisser perplexe. Pour réaliser son enquête, cette société, fondée par d'anciens sondeurs de BVA, a interrogé via internet 911 personnes inscrites sur les listes électorales.
Problème : seuls 10% de ces sondés (soit 91 personnes) se déclarent "certaines d'aller voter". Il s'agit du "potentiel maximum de participation", explique Odoxa dans sa méthodologie mise en ligne sur son site internet (PDF). Parce que le panel (76 sondés) serait trop faible, notamment aux yeux de la commission des sondages, l'institut a étendu sa question aux personnes qui jugent probable d'aller voter (170 sondés).
C'est donc à ces 246 personnes que l'institut a demandé qui, de Nicolas Sarkozy ou d'Alain Juppé, avait leur préférence. Seize pour cent de ces 246 sondés n'ont pas exprimé de choix. Cela signifie que le sondage qui affirme qu'Alain Juppé battrait Nicolas Sarkozy lors de la primaire repose sur un échantillon de 207 personnes, dont une bonne part ne sont même pas certaines d'aller voter.
"C'est irresponsable de produire pareille chose !"
"C'est ahurissant, cela signifie que le sondage repose sur un électorat dont les deux tiers ne voteraient pas", constate, effaré, le responsable d'un institut de sondages, joint par francetv info, en observant que l'amplitude de la marge d'erreur s'élèverait à quatorze points. "Cette enquête n'a aucune valeur. C'est irresponsable de produire pareille chose, renchérit un autre sondeur, interrogé par francetv info. En toute rigueur, une question d'intentions de vote est fixée sur la base des gens certains d'aller voter. Pour obtenir des résultats représentatifs, il faudrait partir d'un échantillon global de 4 000 à 5 000 personnes, pour avoir 400 à 500 personnes certaines d'aller voter. Là, on est dans la tromperie méthodologique, vis-à-vis des médias et des politiques. Malheureusement, tout le monde reprend l'information."
Des accusations rejetées par Céline Bracq, directrice de l'institut Odoxa, contactée par francetv info. Pour elle, le sondage permet de "voir les grandes tendances". "Le recul de Sarkozy et la poussée de Juppé sont solides", ajoute-t-elle. "En dépit de la marge d'erreur, l'écart est tel qu'il est significatif", reprend le président de cet institut, Gaël Sliman, qui voit "chez certains", à droite, une "volonté de casser le thermomètre quand la température déplaît".
Contactée par francetv info, la commission des sondages (une autorité administrative dépendant du Conseil d'Etat) affirme ne pas avoir été saisie pour le moment. Son secrétaire, Jean-Pierre Pillon, affirme ne pas disposer pour le moment de "la totalité des éléments" pour commenter la fiabilité ou non de cette étude. Il n'exclut cependant pas que sa méthodologie soit réexaminée de manière plus approfondie dans les jours à venir. Si le panel interrogé n'était pas représentatif, la commission pourrait alors contraindre Le Parisien à publier dans ses colonnes une mise au point.
D'autres instituts ont une méthodologie semblable
Plusieurs médias ont déjà commandé et publié des sondages similaires ces derniers mois. C'est le cas du magazine Le Point, qui révélait début mai qu'en duel face à Alain Juppé, Nicolas Sarkozy l'emporterait avec 64% des voix. Un chiffre très différent de celui d'Odoxa, et qui reposait sur un panel de 122 personnes interrogées par l'institut Ipsos, "certaines d'aller voter", et exprimant un choix entre le maire de Bordeaux et l'actuel président de l'UMP.
A l'automne, L'Obs avait également tiré des conclusions d'un sondage LH2 portant sur seulement 336 sondés certains d'aller voter. "Un tel échantillon implique des marges d'erreur de l'ordre de 6 points. Plus que les scores respectifs des personnalités de l'UMP, c'est donc leur évolution qui fait sens", précisait toutefois l'hebdomadaire, reconnaissant ainsi le manque de fiabilité de sa propre enquête.
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