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Ils sont pour les statistiques ethniques, mais condamnent la démarche de Robert Ménard

En indiquant à la télévision le pourcentage d'enfants musulmans dans les écoles de Béziers, le maire de la ville a créé une polémique. Selon lui, cela pourrait relancer le "débat sur les statistiques" ethniques. Pas si sûr...

Article rédigé par franceinfo - Etienne Combier
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Publié Mis à jour
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Le maire de Béziers (Hérault), Robert Ménard, durant une réunion hebdomadaire à la mairie, le 5 mai 2015.  (PASCAL GUYOT / AFP)

"Dans ma ville, il y a 64,6% des enfants qui sont musulmans dans les écoles primaires et maternelles." Avec cette phrase, le maire de Béziers (Hérault), Robert Ménard, élu avec le soutien du FN, a créé la polémique, lundi 4 mai, sur le plateau de "Mots Croisés", sur France 2. "Je sais que je n'ai pas le droit de le faire", a-t-il déclaré, avant de retropédaler le mardi 5 mai, en affirmant que "personne n'a fiché et ne fichera jamais les enfants à Béziers." 

Une situation confuse qui n'a pas empêché le procureur de la République de Béziers d'ouvrir une enquête préliminaire pour "tenue illégale de fichiers en raison de l'origine ethnique", un délit passible de cinq ans de prison et 300 000 euros d'amende. Le 6 mai, après une heure d'audition par les enquêteurs de Montpellier, Robert Ménard est ressorti libre, sans faire de déclaration. La perquisition de la mairie de Béziers n'aurait pas permis de retrouver la trace d'un fichier, papier ou informatique.

Robert Ménard s'est félicité que la polémique relance le "débat sur les statistiques." Mais est-ce vraiment le cas ?

"Cela doit être fait sur la base du volontariat"

C'est la sénatrice écologiste Esther Benbassa, favorable aux statistiques ethniques, qui a, la première, alerté les médias : selon elle, ce qu'a fait Robert Ménard n'est justement pas de la statistique ethnique. A L'Express, elle explique que "les statistiques ethniques se pratiquent sur la base du volontariat, et de façon parfaitement anonyme. Les participants à ces enquêtes peuvent déclarer s'ils se sentent catholiques, juifs ou musulmans. Ensuite, ces données sont étudiées par des chercheurs qualifiés, utilisant des outils d'analyse fiables." Ce qui ne correspond en rien à la démarche de Robert Ménard, qui n'a demandé l'accord ni des enfants, ni des parents avant d'en déduire leur confession. 

"Les statistiques ethniques, lorsqu'elles sont menées dans des pays démocratiques, reposent sur le consentement des individus", acquiesce Jean-Luc Richard, maître de conférence en démographie et en sociologie à l'université Rennes-I. Pourtant lui-même opposé aux statistiques ethniques, il est pour une fois en accord avec Esther Benbassa. "Ce qu'a fait Robert Ménard, c'est un fichage autoritaire. Même s'il avait demandé l'autorisation de la Cnil (Commission nationale informatique et libertés), il ne l'aurait pas eue", estime-t-il. 

Les statistiques ethniques sont déjà utilisées en France

"En l'état actuel des choses, nous n'avions pas besoin que Robert Ménard vienne défendre la question des statistiques ethniques", soupire Michèle Tribalat, directrice de recherche à l'Institut national des études démographiques (Ined). 

On le sait peu, mais aujourd'hui, les statistiques ethniques sont déjà utilisées dans des enquêtes d'envergure. Techniquement, il est interdit, selon le Code pénal, de "mettre ou de conserver en mémoire informatisée, sans le consentement de l’intéressé, des données à caractère personnel qui, directement ou indirectement, font apparaître les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses, ou les appartenances syndicales des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à l’orientation ou identité sexuelle de celles-ci."

Mais dans les faits, une dérogation peut être accordée par la Cnil si des chercheurs en font la demande. Si une étude reçoit cette autorisation, elle pourra faire figurer des questions sur le pays de naissance d'un individu et de ses parents. "De grandes enquêtes, comme l'enquête Famille de 2011 qui a interrogé près de 360 000 personnes, ont été réalisées avec des questions sur le pays de naissance et la nationalité de naissance des parents. Elles ont fait office de test concluant", explique Michèle Tribalat, favorable à des statistiques ethniques pour mesurer de manière précise "la ségrégation" en France.

"C'est une question politique"

Pour les partisans des statistiques ethniques, l'étape suivante, choisie par des pays comme les Etats-Unis, le Brésil, l'Afrique du Sud ou le Royaume-Uni, serait d'intégrer des questions sur ces origines dans le recensement. En France, un recensement est réalisé tous les cinq ans, avec un cinquième du territoire chaque année. "Il ne manque pas grand-chose pour que l'Insee (Institut national de la statistique et des études économiques) intègre les questions sur le pays de naissance et la nationalité de naissance des parents dans le recensement. Mais comme c'est la base de toute la statistique nationale, l'Insee ne veut pas risquer de perdre en réputation et en crédibilité et de mettre en péril le recensement", explique Michèle Tribalat. 
 
"En réalité, c'est une question politique, affirme Patrick Simon, également directeur de recherche à l'Ined. Il a été décidé de ne pas en parler, de ne pas faire de statistiques dessus. Cela reflète moins une défense des minorités que l'intention de ne pas leur donner trop de visibilité." 

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