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Nantes en Bretagne ? Bienvenue dans le laboratoire de la réforme territoriale

Plusieurs milliers de personnes ont réclamé la "réunification" de la Bretagne, samedi 19 avril à Nantes (Loire-Atlantique). La réforme territoriale annoncée par le Premier ministre Manuel Valls a dopé leur motivation.

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Plusieurs milliers de personnes se sont rassemblées place Bretagne, à Nantes, samedi 19 avril, pour réclamer le rattachement de la Loire-Atlantique à la Bretagne. (FABIEN MAGNENOU / FRANCETV INFO)

"Laouen omp de zegemer ac’hanoc’h e Naoned" ("Nous sommes heureux de vous accueillir ici à Nantes"), lance Jonathan Guillaume, de l'association Bretagne unie. Face à lui, samedi 19 avril, quelque 3000 manifestants (plus de 10 000, selon les organisateurs) réclament le rattachement – ou la "réunification" – de la Loire-Atlantique à la Bretagne. Une vieille revendication mais des espoirs tout neufs, depuis que Manuel Valls a annoncé la suppression d'une région sur deux, d'ici à 2017.

Rendez-vous à 15 heures, dans le centre-ville, sur la place Bretagne. Le folklore est assuré. Les drapeaux gwenn ha du barrent l'horizon de noir et blanc, sur fond de musique traditionnelle. Sur un stand, on prépare des galettes complètes sur les billigs. Avec un oeuf miroir ou brouillé. Des élus s'adressent à la foule, une écharpe bretonne en ceinture. Puis l'un des animateurs de Bretagne unie s'y reprend à deux fois pour faire siffler le nom des Pays de la Loire. Jusqu'au Bro gozh ma zadoù, l'hymne breton, qui sonne le départ dans les rues.

Plusieurs milliers de personnes se sont rassemblées place Bretagne à Nantes, samedi 19 avril, pour réclamer le rattachement de la Loire-Atlantique à la Bretagne. (FABIEN MAGNENOU / FRANCETV INFO)

"La réunification serait un retour à la normale"

Pourquoi tant de passion autour d'un redécoupage administratif ? Pas toujours facile d'obtenir des arguments rationnels. Le plus souvent, la même histoire est évoquée. Celle du maréchal Pétain, qui a séparé Rennes et Nantes en 1941. "C'est comme si on avait retiré un organe à un corps", explique un étudiant. "La réunification serait un retour à la normale, c'est important au niveau culturel. Et puis, ici il y a le château des Ducs de Bretagne", ajoute une autre. "C'est symbolique. La Bretagne a un aspect festif et chaleureux. La preuve, on voit toujours des drapeaux partout dans le monde", conclut un troisième, fier de l'identité bretonne. Comme eux, près de deux habitants de Loire-Atlantique sur trois se déclarent favorables au rattachement, selon une étude LH2 publiée en mars dans le quotidien local Presse Océan.

Un couple se rend place Bretagne à Nantes, samedi 19 avril, avec la cathédrale en toile de fond.

"Je suis né en 1977. Très peu de jeunes de ma génération se sentent bretons", expliquait pourtant un professeur lors d'une réunion publique organisée le matin. "Et je crains que nous soyons très peu de Nantais cet après-midi dans les rues." Difficile de lui donner tort. Il suffit, dans le cortège, de compter les Bonnets rouges, venus pour la plupart de Basse-Bretagne. "C'est parce que les Nantais de Graslin [un quartier huppé] n'en ont rien à faire", sourit un étudiant né à Port-Louis (Morbihan). "Eux, ils pensent plutôt à Paris." Et les autres, alors ?  "Lui, il est Nantais. Lui aussi, là", répond Jean-Louis Jossic, en désignant des manifestants. Le membre du groupe les Tri Yann et ancien adjoint à la culture à Nantes se "fie aux derniers sondages. L'important, c'est ce que les gens pensent. Et on n'arrête pas une idée en marche."

"Il y a une vraie carte marketing et économique à jouer"

"La réunification serait une réparation historique", estime à son tour Bertrand, 48 ans et né à Nantes. Alors qu'il est élève à Rouen, à l'âge de 8 ans, il rencontre un professeur féru d'histoire et d'Anne de Bretagne. Il se plonge à son tour dans les livres et cultive son identité bretonne, avant de revenirà Nantes quelques années plus tard, et de passer son bac avec option breton. "J'ai eu 20 sur 20." Aujourd'hui expatrié en Allemagne, dans le secteur bancaire, il voit un autre intérêt au rattachement : "les Allemands connaissent la Bretagne, la Provence, mais pas les Pays de la Loire. Au-delà de l'aspect culturel, il y a une vraie carte marketing et économique à jouer." 

Ce manifestant a la Duchesse Anne de Bretagne collée à la peau. (FABIEN MAGNENOU / FRANCETV INFO)

Enfin, pour beaucoup, une Bretagne plus forte aboutirait à davantage d'indépendance à l'égard de Paris. "La France est le plus pays le plus centralisé d'Europe", regrette ainsi le maire de Carhaix (Finistère) Christian Troadec, représentant du mouvement des Bonnets rouges, devant des drapeaux bretons. Romain Pasquier, politologue au CNRS a lui aussi fait le déplacement pour réclamer "que la Bretagne soit à l'avant-garde de la France girondine". Sans compter l'argument financier, qui convainc de nombreux habitants. "On nous demande de faire des efforts, de nous serrer la ceinture. Et pourtant, il y a des entités administratives qui ne servent à rien et qui coûtent cher", explique Michel, 32 ans, venu de Vannes (Morbihan). Parfois, également, des manifestants expriment une certaine défiance à l'égard de la capitale, à l'image de son ami, qui refuse "d'être obligé d'émigrer à Paris pour travailler". Une région plus forte, selon lui, c'est donc plus d'emplois.

Un laboratoire de la réforme territoriale

Les élus favorables au rattachement veulent faire de la Bretagne un laboratoire de la réforme territoriale. Jean-Marc Ayrault, maire de Nantes hostile au rattachement, a quitté le paysage. "Maintenant qu'il est en semi-retraite, il va peut-être nous rejoindre", plaisante le député de l'Union démocratique bretonne Paul Molac. "Il va peut-être trouver l'inspiration en combi Volkswagen !" Et qu'importe l'étiquette des partisans du rattachement. Le matin, les Bonnets rouges, dont le mouvement est né dans l'opposition à l'écotaxe, ont concédé à applaudir le sénateur EELV Ronan Dantec. "Réformateurs de tous les partis, unissez-vous", reprend le député écolo François de Rugy, également du voyage.

De nombreux "Bonnets rouges" ont fait le déplacement, samedi 19 avril, à Rennes (Ille-et-Vilaine). (FABIEN MAGNENOU / FRANCETV INFO)

Autre atout de poids (pour qui pour quoi ?), le député PS Jean-Jacques Urvoas, également présent à la manifestation. Sa proximité avec Manuel Valls pourrait bien faciliter les choses. "Nous n’avons évoqué la question qu’après son discours de politique générale", corrige l’élu. "Il n’a pas d’avis là-dessus, mais il m’a dit qu’il était intéressé par toutes les initiatives originales." Quelques élus bretons, justement, concoctent un projet d’Assemblée unique de Bretagne. Sans savoir encore, combien de départements seraient concernés. Gare à eux. L'an dernier, le projet d'une collectivité territoriale d'Alsace a subi un lourd revers. Mais pour tous, quoi qu'il arrive, "Naoned e Breizh" ("Nantes en Bretagne).

Reste qu'ici, comme partout en France, la réforme territoriale pourrait bien réveiller les querelles locales. En football comme ailleurs, ce n'est pas toujours l'amour fou entre Rennes et Nantes, qui se disputent déjà le grade de "capitale". "L'exécutif est conscient des passions déclenchées par la réforme", explique Jean-Jacques Urvoas. "Mais il est surpris de la rapidité avec laquelle les collectivités s’emparent du sujet. De toute façon, mieux vaut ça qu'une carte dessinée depuis Paris..."

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