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Référendum en Nouvelle-Calédonie : pourquoi le nickel est-il devenu l'un des enjeux de la campagne ?

Les Néo-Calédoniens sont appelés aux urnes ce dimanche 4 octobre pour se prononcer pour ou contre l'indépendance vis-à-vis de la France. Parmi les sujets qui se sont invités dans la campagne, la crise du nickel, un minérai qui reste une des ressources-clés de l'archipel.

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Une manifestation à l'appel du collectif Usine du Sud = usine pays pour s'opposer au projet de rachat de l'usine de Vale NC par l'australien New Century Resources, le 21 août 2020, à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie. (THEO ROUBY / HANS LUCAS)

"Nos richesses doivent nous revenir", lance Justin Gaïa, président du Sénat coutumier, lors d'une manifestation du collectif Usine du Sud = usine pays, le 9 septembre. Alors que le deuxième référendum sur l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie se déroule ce dimanche 4 octobre, l'enjeu du nickel s'est invité depuis plusieurs semaines dans cette nouvelle campagne référendaire qui se révèle plus tendue qu'en 2018. Le nickel est un minerai utilisé dans des alliages notamment pour produire de l'acier inoxydable que l'on retrouve dans nombre d'objets quotidiens. Les manifestants indépendantistes souhaitent que l'usine située dans la province Sud de la Nouvelle-Calédonie, détenue par l'entreprise brésilienne Vale, continue de fonctionner et passe aux mains des Calédoniens. 

Après le retrait d’un potentiel acquéreur, l'Australien New Century Resources, Vale menace désormais de fermer cette usine de nickel installée dans le Sud, ce qui mettrait en péril 3 000 emplois directs et indirects. "Vale jette l'éponge, car il a rencontré des problèmes techniques, mais l'option de la fermeture serait dramatique pour l'économie du pays", alerte l'économiste Olivier Sudrie, maître de conférences à l'université Paris-Saclay et spécialiste de l'outre-mer. "La fermeture de l'usine du Sud serait un véritable cataclysme. Par effets successifs de ricochets, c'est tout l'écosystème économique qui serait menacé", confirme à l'AFP la Chambre de commerce et d'industrie.

Le nickel souffre de la conjoncture liée à la crise mondiale, en pleine pandémie de coronavirus. "Résultat, on a un marché en surproduction, avec beaucoup d'offre par rapport à la demande. D'autant que la Chine a développé des substituts très bon marché, explique Séverine Blaise, maître de conférences en économie à l'université de la Nouvelle-Calédonie. Mais il y a aussi des problèmes internes à l'archipel, avec des coûts d'investissement très importants, un coût de la main-d'oeuvre élevé... Avec un cours du nickel qui est bas, tout cela n'aide pas les usines à devenir rentables."

Une industrie en crise

Au moment où l'opérateur historique du nickel calédonien, la Société Le Nickel (environ 2 000 emplois), filiale du français Eramet, est déjà au bord de la faillite, les difficultés de Vale propulsent l'enjeu du nickel au centre des débats. Sur le "Caillou", le minerai constitue, avec les transferts publics de l'Etat français, la principale richesse pour les quelque 270 000 habitants de l'archipel, même s'il faut relativiser. En 2018, l'industrie du nickel représente seulement 7% du PIB dans une économie calédonienne d'abord tournée vers les services. "Par contre, les effets indirects et induits sont très importants, explique Séverine Blaise. Autrement dit, le nickel fait un peu la pluie et le beau temps sur le moral des Calédoniens, parce que tout le monde se focalise sur cette richesse."

En plein campagne référendaire, les difficultés du secteur sont donc devenues l'un des enjeux du scrutin. Le collectif Usine du Sud = usine pays milite donc pour que l’alliance Sofinor-SMSP-Korea Zinc, qui reste contrôlée par des intérêts locaux, reprenne l'usine du Sud. Cette alliance gère déjà l'usine de la province du Nord, dans le massif minier du Koniambo. "Ce qui se passe au niveau des projets miniers se révèle profondément politique. Il y a la revendication du lien à la terre, les Kanaks veulent prendre le contrôle de leurs ressources, explique Séverine Blaise. De l'autre côté, certains loyalistes [qui souhaitent que la Nouvelle-Calédonie reste française] ont plutôt promu jusqu’à présent des projets tournés vers les multinationales étrangères."

Pour les indépendantistes, il faut qu'un maximum de la valeur ajoutée produite par le nickel soit capté par le territoire.

Séverine Blaise, économiste

à franceinfo

En Nouvelle-Calédonie, le niveau de vie est proche de celui de la France hexagonale, mais les disparités restent très importantes entre les provinces. Le Nord et les îles Loyauté sont particulièrement touchés par la pauvreté. La question du nickel est intimement liée à ces fortes inégalités. "Dans la solution politique construite en 1998 avec l'accord de Bercy, il y a eu une négociation sur le gisement du Koniambo afin de pouvoir construire une usine dans le Nord [une province à majorité kanake] pour rééquilibrer un petit peu l'économie sur le territoire, rappelle le politologue Pierre-Christophe Pantz. Finalement on constate aujourd'hui qu'il y a à peu près les mêmes ingrédients qu'en 1998."

Sauf que la filière nickel est en crise et la direction de Vale a jugé que le projet de la Sofinor manquait de crédibilité financière. "La Sofinor rencontre des difficultés techniques sur l'un de ses deux fours", rappelle Olivier Sudrie. "Il y a eu une dette énorme qui a été contractée, et qui a du mal à être remboursée, parce que l'usine ne fonctionne pas super bien, du coup les loyalistes utilisent cet argument pour s'opposer au projet de rachat", complète Séverine Blaise.

Une vue aérienne de l'usine et du site minier du Koniambo, le 21 septembre 2015, dans la province du Nord, en Nouvelle-Calédonie. (THEO ROUBY / AFP)

"On souhaite avoir la maîtrise de notre ressource, parce qu'actuellement presque tous les titres miniers sont détenus par des multinationales, avec le partenariat de la France", martèle de son côté Mickaël Forrest, directeur de la campagne du "oui" à l'indépendance pour le FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste). "Seulement 4% de cette richesse nickel est aux mains des indépendantistes kanaks", confirme l'anthropologue Alban Bensa. "Notre projet politique se base nécessairement sur la valorisation de cette ressource, qui reste le poumon économique du pays", poursuit Mickaël Forrest. L'indépendantiste n'exclut pas de nouer des accords avec d'autres partenaires de la région pour continuer d'exploiter au mieux la ressource.

"Un modèle 'inassumable'"

"On considère que le modèle des indépendantistes est 'inassumable'", réagit pour sa part Sonia Backès, cheffe de file de L’Avenir en confiance, qui a formé une coalition loyaliste avec six partis de droite pour faire campagne pour le "non" à l'indépendance. "Les indépendantistes considèrent que l'intérêt, c'est de nationaliser les entreprises, sauf qu'il y a déjà plus de 1 000 milliards de dettes cumulés… Nous, on considère que nos collectivités sont incapables de gérer ce type d'usine."

Mais bon, il suffit de prononcer le mot 'pays', et on veut une 'usine pays', et ça devient magique.

Sonia Backès,
cheffe de file de la coalition loyaliste

à franceinfo

Sonia Backès souhaite que les collectivités prennent une part de 10% dans l'actionnariat et veut lancer un appel à l'actionnariat populaire et salarié. "On propose aussi une taxe à l'extraction et à l'exportation de nickel, afin de créer un fonds pour les générations futures. Et il faut diversifier l'économie." De son côté, le député Philippe Dunoyer, du parti de centre-droit Calédonie ensemble, plaide pour "l'équilibre" : "Il faut préserver les emplois et s'assurer que les modèles industriels permettent de retrouver une rentabilité. Il faut accompagner les industriels, mais ces deniers doivent se souvenir que les collectivités sont des acteurs, à leur place, des usines." Il n'oublie pas que l'environnement est un enjeu qu'il faudra prendre en compte à l'avenir.

Pour l'économiste Séverine Blaise, il faut surtout revoir la stratégie industrielle. "Pour l'instant, comme les projets miniers sont éminemment politiques, tout ça crée de l'incohérence, de l'irrationalité au niveau économique, estime-t-elle. Par exemple, pour s'approvisionner, chaque usine a construit sa centrale dans des conditions déplorables au niveau environnemental. Avec un minimum de coordination, de planification, on aurait pu faire une 'centrale pays'." Le député Philippe Dunoyer estime que, pour cela, il va falloir régler une bonne fois pour toutes la question du statut. "Tant que, tous les deux ans, on refait campagne pour le 'oui' ou le 'non', les politiques de long cours attendent, et pendant ce temps, les effets dans le secteur du nickel se font durement ressentir."

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