Qui sont les gagnants et les perdants de l’égalité du temps de parole ?
L'officialisation des candidats à l'élection présidentielle par le Conseil constitutionnel lundi 19 mars sonne ce mardi le début de la vraie campagne, celle où l'égalité du temps de parole fait loi. Une règle qui ne fait pas que des heureux.
A partir du mardi 20 mars et jusqu'au 9 avril, début de la campagne officielle, les dix candidats officiels à l'Elysée sont soumis à l'égalité stricte du temps de parole. Si Nicolas Sarkozy parle dix minutes, Philippe Poutou ou Jacques Cheminade doivent en faire autant. A partir du 9 avril, les restrictions seront plus draconiennes encore puisque l'on passera à l'égalité du temps de parole et d'antenne, avec obligation de programmes comparables pour tous les candidats. Mais à qui profite cette règle ?
LES GAGNANTS
- Les "petits candidats"
Ils sont les premiers bénéficiaires de l'instauration de l'égalité du temps de parole dans les médias audiovisuels. "C'est la moindre des choses dans un pays qui se gargarise de sa belle démocratie", expliquait la candidate de Lutte ouvrière, Nathalie Arthaud pour qui "ce sera l'occasion de me présenter, moi et mon programme".
L'égalité du temps de parole va ainsi offrir aux petits candidats, en manque de notoriété et de plateaux télés, une visibilité sans précédent dans la campagne. Une campagne où ils étaient confinés aux émissions politiques de moindre audience. C'est ainsi qu'Olivier Besancenot avait véritablement éclaté au grand jour et aux yeux du grand public lors de la campagne de 2002, finissant à près de 5% au premier tour du scrutin.
Pour Philippe Poutou, le candidat du NPA, cela ne changera pas vraiment la donne. "La loi impose l'égalité de temps de parole mais pas l'égalité de l'heure de parole, s'emporte-t-il dans 20 minutes. Elle n'impose pas qu'on passe au JT de 20h."
Ainsi, principalement pour les chaînes d'information en continu, la tentation peut être grande de programmer les meetings des petits candidats sur les tranches de nuit. Ce que réfute Albert Ripamonti, directeur de la rédaction d'I-Télé. "Il n'y aura pas de candidats qui ne seront diffusés que dans la boucle de nuit", assure-t-il à Libération.
- La presse écrite et Internet
Puisqu'il y aura moins de politique sur les chaînes de télévision ainsi que sur les radios, les grands bénéficiaires de cette égalité du temps de parole sont la presse écrite et la presse Internet. Deux médias qui ne sont pas soumis à ces contraintes du CSA.
Internet serait-il alors le grand gagnant de cette élection présidentielle et de ces contraintes jugées ubuesques par les patrons des principales radios françaises ? "On fait moins de politique. Tout cela est totalement absurde", lance Arlette Chabot, directrice de l'information d'Europe 1, qui relève que "en même temps, on peut toujours faire ce que l'on veut sur internet".
"Il va y avoir moins de formats télévisuels et plus d'interventions des candidats dans la presse écrite. Cela favorise le fond", se réjouissait dans 20 Minutes un proche de François Bayrou.
Ainsi la majeure partie des sites d'information généralistes, pure-player ou extensions d'organes de presse, ont mis les moyens sur la présidentielle. La plupart d'entre eux ont créé des rubriques consacrées et développé des applications innovantes sur la campagne (véritomètre, guéantomètre…). Une aubaine pour la presse numérique.
LES PERDANTS
- Les "grands candidats"
Seuls Nicolas Sarkozy, candidat de l'UMP, François Hollande, candidat du PS, Marine Le Pen, candidate du FN, Jean-Luc Mélenchon, candidat du Front de gauche et François Bayrou, candidat du Modem ont eu les honneurs d'avoir un "Des paroles et des actes" consacré. Mais désormais, ces grands messes politiques télévisées n'auront plus droit de cité d'ici au Premier tour. Et ces grands candidats n'auront plus de tribune audiovisuelle de premier choix différenciée. Tous égaux. Ce qui pourrait atténuer l'impression de bipolarisation de cette campagne même si les moyens mobilisés pour la campagne de terrain sont nettement plus importants chez les favoris du scrutin.
Ainsi, François Hollande comme Nicolas Sarkozy vont désormais insister sur la campagne de terrain et sur la mobilisation des troupes : multiplication des meetings et réunions publiques, déplacements quasi-quotidiens, porte-à-porte… "D'un côté les grandes messes, de l'autre le terrain", justifiait Pierre Moscovici, directeur de campagne de François Hollande, à l'approche de l'égalité du temps de parole.
- Les télés et les radios
Peut-être plus encore que les "grands candidats", ce sont les télévisions et les radios qui pâtissent de l'égalité du temps de parole. Et face à ces contraintes, les dirigeants de neuf chaînes de télévision ou radios ont écrit au Conseil constitutionnel afin d'assouplir les règles en vigueur.
"Cette situation n'existe pas chez nos grands partenaires européens qui ne sont pas moins démocratiques que la France, pas plus qu'elle ne concerne ni la presse, ni Internet, pourtant des vecteurs tout aussi importants d'information que l'audiovisuel", écrivaient-ils.
Toujours est-il que les émissions phares de ce début de campagne, "Des paroles et des actes" sur France 2 ainsi que "Parole de candidat" sur TF1, sont suspendues de l'antenne, impossible à tenir avec le respect obligatoire des temps de parole des dix candidats.
"Il nous faudrait faire dix Des paroles et des actes en quatre semaines : on frôle l'overdose", explique mardi 20 mars, premier jour d'égalité du temps de parole, à Libération Thierry Thuillier, directeur de l'information de France Télévisions. Et d'ajouter : "Si la règle fait qu'on ne peut plus faire d'émissions politiques à quelques semaines du premier tour alors que ce sont ces émissions qui font vivre la démocratie, c'est dommage".
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