De Tolbiac à Matignon, la longue route de l'ambitieux Manuel Valls vers le sommet de l'Etat
Il a soutenu Michel Rocard, Lionel Jospin, Ségolène Royal et François Hollande, sans jamais sombrer avec eux. C'est à son tour de tenter sa chance. Itinéraire d'un ambitieux doté d'un sacré sens tactique.
"Je fais de la politique. Je suis ambitieux. J'ai toujours pensé que j'avais la capacité d'assumer les plus hautes responsabilités politiques pour notre pays." Cette phrase de Manuel Valls se niche dans une interview accordée à La Provence, à l'été 2013. Et ne fait qu'éventer un secret de Polichinelle : pour celui qui s'est déclaré candidat à la primaire de la gauche, lundi 5 décembre, Matignon n'est qu'une étape, la dernière, sur la route qui mène à l'Elysée. Retour sur l'ascension d'un ambitieux.
"J'aimerais bien devenir président"
Manuel Valls, c'est d'abord l'histoire d'un jeune aux dents longues, tombé dans la marmite du rocardisme – pas de la gauche, nuance – à la fin des années 1970. La courte défaite du PS aux législatives de 1978 l'effleure à peine, l'ascension de son champion, véritable star de la soirée électorale, l'excite bien plus. Ses camarades ont déjà décelé la graine de star qui use ses fonds de culotte à leurs côtés. "Il sera président de la République, je lui disais déjà au lycée", se souvient l'un d'eux, Michel Tamborrino, dans le livre Manuel Valls, Les Secrets d'un destin.
Le passage par la fac ne laissera pas un souvenir impérissable à ses professeurs. Un an de droit – "un désastre absolu", de l'aveu même de l'intéressé – une licence d'histoire pour la forme. A Tolbiac, une grande partie des étudiants font leurs classes d'agit-prop politique et se divisent entre les différentes chapelles de l'extrême gauche. Dans le lot, Valls le rocardien détonne. C'est à Tolbiac qu'il rencontre Alain Bauer et Stéphane Fouks, qui formeront sa garde rapprochée, côté stratégie et côté communication. Fouks explique dans Le Monde ce qui deviendra un fondement de la stratégie de son poulain : "à 18 ans, nous avons compris qu'on peut être minoritaire dans les amphis et majoritaire dans les urnes, que notre rapport de force dans l'opinion était plus important que dans l'appareil". Un jour où Julien Dray vient faire son marché chez les rocardiens pour le compte de l'UNEF-ID, Valls se laisse aller à cette confidence : "Moi, j'aime la France, j'aimerais bien devenir président de la République."
"Le pouvoir a toujours été une obsession"
Le chemin s'annonce long. Valls n'est qu'une petite main au sein du PS. Assistant parlementaire à 23 ans, le jeune impétrant a toutes les peines du monde à entrer au cabinet de Michel Rocard, qui apprécie peu qu'il veuille devenir politicien professionnel sans être passé par la case "vraie vie". Son mentor le balade à des postes subalternes dans son cabinet, et refuse de le parrainer pour les élections européennes de 1989.
A 30 ans, Manuel Valls n'a sur son CV qu'un maigre mandat de conseiller régional d'Ile-de-France. Un militant socialiste de l'époque persifle : "Valls n'a pas attendu de pouvoir se raser pour rêver de devenir président de la République. Le pouvoir a toujours été une obsession pour lui." Il se prend ensuite les pieds dans le tapis aux législatives de 1997 à Argenteuil, dans une circonscription rouge, fief de Robert Hue. Ses amis l'en avaient dissuadé. "Avec Manuel, c'est toujours la même chose. Il demande l'avis de ses amis quand il a déjà pris sa décision", soupire Bauer dans Les Secrets d'un destin.
Deuxième chance quand Lionel Jospin débarque à Matignon, dans la foulée de la dissolution de l'Assemblée par Jacques Chirac en 1997. Encore une fois, il ne figure pas dans la short-list du nouveau locataire de Matignon. Son ami Stéphane Fouks, monté en grade chez Euro RSCG, va jusqu'à demander la bénédiction de Jacques Séguéla pour pousser le CV de Valls en haut de la pile pour le poste de dircom, raconte Mediapart. Avec succès, après une longue hésitation de Jospin. C'est l'époque où Valls s'affiche en jeans aux côtés de son patron, ou avec un maillot de foot floqué "Matignon". Ne lui manque qu'un mandat local pour faire son trou dans le parti.
"Exister [dans les médias], c'est un bouclier"
Ce sera dans l'Essonne, à Evry, terre de gauche où les sortants sont englués dans les affaires. Cette fois, le jeune premier a bossé ses fiches. "Une campagne de dingue, se souvient le communicant Laurent Habib, de l'école Euro RSCG. Manuel bossait comme un fou, il a appris toutes les rues de la ville par cœur." Dans une interview au Point, des années plus tard, Valls y place la naissance de son ambition : "Ce qui m'a déboutonné, c'est de conquérir Evry. Etre le premier d'entre eux au suffrage universel". Elu maire en 2001, puis député en 2002, Manuel Valls se montre parfois cassant – Le Point raconte qu'il a rédigé la lettre de démission d'un de ses adjoints en plein conseil municipal – et soucieux de son image – l'affaire des "blancos" qui manquent sur le marché d'Evry.
C'est le moment où il se forge son image de franc-tireur, à la droite du parti. Avec ses sorties fracassantes contre les 35 heures, contre le nom du PS qu'il juge "dépassé", et même contre les vicissitudes du couple Hollande-Royal en 2007 : "J’en ai assez que mon parti soit pris en otage par un couple." Il s'affiche brièvement avec Montebourg pour rénover le PS, un temps avec la gauche du PS qu'il rejoint dans le "non" au référendum européen. L'opinion contre le parti, toujours. Martine Aubry a même tenté, en vain, de le virer du PS en 2009. L'exemplaire de Libé, avec sa photo barrée d'un énorme "Wanted", trône comme un trophée de chasse dans son bureau, place Beauvau, après sa nomination en 2012. "Exister, c'est un bouclier, théorise-t-il dans le livre Valls à l'intérieur. Ça vous protège. Si vous n'êtes pas fort dans l'appareil, il faut être fort dans les médias."
"Une OPA sur Hollande"
Il se déclare candidat à la présidentielle de 2012 avec près de trois ans d'avance, dans un théâtre, entre deux accords de Didier Lockwood. Le début de la troisième phase du projet Valls, celui qui le rendra présidentiable. Il écrit une série de livres, où il théorise son approche du pouvoir et fustige la pudeur de la gauche envers les ambitieux déclarés : "Afficher, à gauche, une ambition personnelle pour l'exercice du pouvoir reste donc, pour certains, une transgression, écrit-il dans Pouvoir, en 2010. Et tous ceux à gauche qui s'enthousiasment pour la victoire de Barack Obama feraient bien de s'interroger sur tout ce qu'elle doit, aussi, à sa personnalité et à son charisme."
Malgré ses 6% enregistrés à la primaire de gauche, il se rallie dès le soir du premier tour à François Hollande. Le résultat d'un accord passé entre les deux hommes quelques semaines plus tôt. Officiellement, Manuel Valls devient directeur de la communication du candidat Hollande. Dans les faits, il supplante totalement Pierre Moscovici, directeur tout court de la campagne. Ce qui lui vaudra le surnom de "La Kommandantur" dans les cercles hollandais. "Il est devenu plus hollandais que les hollandais de longue date", raille Jean-Christophe Cambadélis, un de ses anciens condisciples à Tolbiac. "Le soir de sa défaite à la primaire, il effectue une OPA sur Hollande", analyse après coup l'ancien ministre Jean Glavany. Et relègue loin derrière ses (nombreux) concurrents sur le créneau du jeune quinqua qui monte à gauche.
Lui "vice-président", jusqu'à quand ?
Le Manuel Valls qui se rend indispensable à gauche sait enjoliver l'histoire de son père, immigrant espagnol mais pas réfugié, a troqué les costumes blancs contre les vestes sombres, continue à prendre un soin maladif de ses cheveux et se fait cornaquer par Anne Gravoin, sa musicienne de compagne, sur les questions beauté. Un jour où Manuel Valls souffre d'eczéma, elle parvient à convaincre l'écrivain Laurent Binet (qui narrera la campagne de Hollande dans Rien ne se passe comme prévu) qu'il ne s'agit que d'une allergie, et pas d'épuisement. Le même Binet raconte une anecdote qui en dit long sur les ambitions du n°2 de la campagne. Un jour, les journalistes embeddés interpellent Manuel Valls, de retour d'un déplacement du candidat en province : "Dites, vous n'auriez pas une idée de titre pour le livre qu'écrit Laurent Binet sur la campagne de Hollande ?" "La campagne de Manuel Valls", répond-il, tout sourire.
Quand Hollande est élu, il ne se demande pas s'il sera du gouvernement, mais à quel poste. Place Beauvau (où il est préféré au fidèle hollandais François Rebsamen), puis à Matignon. Manuel Valls cumule les bons sondages et les unes flatteuses. Quand L'Obs le met en couverture, sous le titre "Le vice-président", il appelle le directeur du magazine, Laurent Joffrin, et le tance : "C'est trop, et trop tôt", raconte la journaliste Cécile Amar dans son livre Jusqu'ici tout va mal. On n'est qu'en octobre 2012... A l'été 2013, il se fend d'une anaphore "Moi, ministre", lors d'un déplacement en Camargue. Ça ne vous rappelle rien ? Quelques jours plus tard, il ironise sur les deux semaines de vacances de François Hollande au palais de la Lanterne, à Versailles : "Qu'il me passe Brégançon, s'il n'aime pas." Interrogé dans le JDD en septembre sur la personnalité que les Français pourraient essayer après Sarkozy et Hollande, il lâche, bravache : "ben... moi."
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