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"Ce sont des partenaires" : comment le Sénat est devenu "indispensable" au gouvernement après la perte de la majorité absolue

Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Gérard Larcher, le président du Sénat, lors d'une séance de questions au gouvernement, le 12 juillet 2023. (XOSE BOUZAS / AFP)
Le Sénat, autrefois vu comme un obstacle par la macronie, est désormais incontournable pour l'exécutif en vue de faire passer ses textes au Parlement.

Hervé Marseille n'est pas peu fier de sa formule. "Depuis l'année dernière, ils n'ont plus de majorité. Comme on dit dans la ruralité, les mouches ont changé d'âne." Le patron de l'UDI, président du groupe centriste au Sénat, vise les responsables de la majorité et du gouvernement qui, depuis la perte de la majorité absolue à l'Assemblée nationale, considèrent la chambre haute avec davantage d'égards. L'attention de la majorité envers le Sénat est d'autant plus marquée qu'il va être renouvelé de moitié lors des élections sénatoriales du 24 septembre, même si la majorité devrait rester à droite.

"Dans la Ve République, le Sénat est destiné à aider le gouvernement s'il n'y arrive pas avec l'Assemblée. On y est !"

Jean-Jacques Urvoas, ancien ministre de la Justice

à franceinfo

Pour l'ex-garde des Sceaux socialiste, désormais professeur de droit public, le Sénat est devenu "indispensable à l'exécutif".

Une situation bien différente du précédent quinquennat, où l'exécutif pouvait s'appuyer sur sa pléthorique majorité absolue au Palais Bourbon. "Si le Sénat n'était pas d'accord, fondamentalement, ce n'était pas très grave, on passait le texte quoi qu'il arrive", se souvient un député Renaissance. Les relations entre le président du Sénat et le président de la République étaient alors "très fraîches", euphémise-t-il. "Gérard Larcher disait lui-même : 'Le Sénat, c'est l'opposition'", insiste François Patriat, le chef de file du groupe macroniste au Sénat. Le point de rupture ayant été atteint en 2018 lorsque le Sénat a décidé de créer une commission d'enquête sur l'affaire Benalla, au grand dam de la majorité.

Le Sénat n'est plus snobé

"Quand il y avait une majorité forte à l'Assemblée, l'exécutif a cherché à se passer du Sénat", affirme encore Hervé Marseille.

"Le Sénat était considéré comme un empêcheur de tourner en rond, un opposant, et pouvait être jugé désagréable, comme avec l'affaire Benalla."

Hervé Marseille, président du groupe Union centriste au Sénat

à franceinfo

Même constat dans l'opposition sénatoriale. "En 2017, c'était la négation du travail parlementaire, avec les textes du gouvernement qui passaient sans modification, souligne Guillaume Gontard, le chef de file des écologistes au Sénat. On avait très peu de rendez-vous et de contacts avec les ministres." 

Sur ce dernier point, les choses ont déjà bien changé, à en croire ces élus de plusieurs bords. "On a une multiplication des contacts avec les ministres et la Première ministre", raconte Patrick Kanner. Le patron des sénateurs socialistes raconte par exemple sa surprise d'avoir vu débarquer dans son bureau deux ministres, Gérald Darmanin et Olivier Dussopt, pour évoquer le projet de loi sur l'immigration. "C'est complètement inhabituel", assure-t-il. Pour Guillaume Gontard, "la grande évolution, c'est le lien avec Les Républicains : les négociations se font entre eux et le gouvernement, qui les voit comme des partenaires."

Une droite qui sort renforcée

Bruno Retailleau, le patron des 145 sénateurs du parti Les Républicains, insiste lui sur le nouveau pouvoir de son groupe. "L'Assemblée nationale n'a plus le dernier mot car il n'y a plus de majorité. En commission mixte paritaire [qui réunit 7 sénateurs et 7 députés chargés de trouver un compromis sur un texte], le gouvernement veut un accord. Comme nous sommes cohérents avec nos alliés centristes, on a des coalitions de 7 ou 8 voix contre 6 ou 7 voix."

"On a un pouvoir de négociation que l'on n'avait pas avant."

Bruno Retailleau, président du groupe LR au Sénat

à franceinfo

"La droite est majoritaire en commission mixte paritaire, elle a tout le loisir d'imposer sa vision", résume la sénatrice Eliane Assassi, la présidente du groupe communiste. Du côté de la majorité, on a bien conscience de cette nouvelle donne. "On a une pression dantesque pour avoir des CMP conclusives parce que sinon on repart pour une seconde lecture à l'Assemblée, avec le risque de retomber dans une logique de négociations", abonde un député Renaissance. De fait, "le pouvoir du Sénat est beaucoup plus fort".

Des débats plus feutrés

Stratégiquement, le camp présidentiel a aussi fait le choix de faire passer de plus en plus de textes d'abord au Sénat, puis à l'Assemblée. "C'est une marque de considération envers le Sénat et une assurance supplémentaire d'arriver à une CMP conclusive puisqu'ils vont pouvoir mettre leurs demandes, et nous réagir", poursuit le même député, qui voit lui aussi les sénateurs comme "des partenaires". 

"On est confrontés à des dingos avec les extrêmes de l'Assemblée. On retrouve au Sénat une forme de rationalité et de sens de l'intérêt général. Les sénateurs sont calmes et très fort en compromis."

Un député Renaissance

à franceinfo

"Chez nous, on se respecte et on arrive à trouver des compromis", abonde François Patriat. Le climat très tempétueux à l'Assemblée nationale tranche en effet avec le calme du Sénat. "L'hystérisation de l'Assemblée nationale déroute le gouvernement, affirme Bruno Retailleau. Au Sénat, ils ont un débat plus posé où la technique rentre en ligne de compte."

Résultat : "Le gouvernement n'a de marges de manœuvres de négociations qu'avec le Sénat", relève Jean-Jacques Urvoas. L'illustration parfaite reste la réforme des retraites. Le gouvernement a cru passer un accord avec les caciques de LR pour pouvoir faire passer son très impopulaire projet de loi. Et si le Sénat a voté le texte adopté en commission mixte paritaire, l'exécutif a été forcé de dégainer le 49.3 face à l'indécision de certains députés des Républicains. "On a été en soutien parce que le gouvernement a repris ce que nous faisions tous les ans", justifie Bruno Retailleau. Les sénateurs votaient en effet un amendement au Projet de loi de financement de la Sécurité sociale visant à relever l'âge légal de départ à la retraite à 64 ans.  

"Le Sénat a répondu présent, ils ont accompagné le gouvernement sur le chantier des retraites."

Frédéric Valletoux, député Horizons

à franceinfo

De manière plus générale, "la majorité sénatoriale fait croire qu'elle est dans l'opposition mais il n'y a pas un texte qu'elle n'ait pas voté", assure Guillaume Gontard. "Ils s'opposent gentiment", raille Eliane Assassi. "On est sur une ligne que j'avais caractérisée d'opposition d'intérêt général", rétorque Bruno Retailleau.

Une entente cordiale bientôt menacée ?

Si le Sénat a bien voté une très grande majorité des textes du second quinquennat d'Emmanuel Macron, il pourrait en être tout autrement pour le projet de loi sur l'immigration. Les ténors de LR s'opposent fermement à la création d'un titre de séjour pour les métiers en tension. "Si le gouvernement nous donne un texte qui nous convient ou qu'on amende dans notre sens on le votera, prévient Bruno Retailleau. Si le gouvernement ne supprime pas les métiers en tension alors on votera contre, les choses sont très claires."

Après avoir été "partenaires" sur les retraites, les élus des Républicains jouent ici leur crédibilité d'opposants à Emmanuel Macron. Et grâce à leur majorité au Sénat, ils ont "plus de cartes en main que le gouvernement", assure Jean-Jacques Urvoas. "Ils ne sont pas non plus l'alpha et l'oméga, tient à nuancer Frédéric Valletoux. Oui, ils pèsent plus dans les négociations, qu'elles soient techniques ou politiques, mais ils ne donnent pas le la." Mais, en période de majorité relative, difficile de savoir qui donne encore le la.

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