Notre-Dame-des-Landes, zone rebelle et libertaire
Depuis des mois, ils cohabitent sur le site du futur aéroport du Grand Ouest. Venus de France et d'ailleurs, ces libertaires, écolos radicaux et opposants au projet cultivent leurs idéaux. Reportage.
Agriculteurs, syndicats, élus politiques de tous bords, habitants, associations... La liste des opposants au projet d'aéroport du Grand Ouest de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) est longue. Depuis des mois, les plus résolus occupent la zone d'aménagement différée (ZAD), là même où les premiers avions doivent décoller en 2017. Au total, 300 "zadistes" environ vivent en permanence sur le site, dans une vingtaine de campements éparpillés dans les bois et les champs. Pour comprendre leurs revendications, francetv info est allé à leur rencontre.
Direction le site de La Châtaigneraie. Pour y accéder, il faut traverser le bois pour contourner les gendarmes. "Pense aux animaux et à l'esprit de la forêt. Elle a été préservée jusqu'ici de la marque de l’homme", signale un panneau. Sur place, des branches alignées composent un étonnant sentier lacustre, au-dessus de la gadoue. Armé d'un marteau arrache-clous, un grand roux s'y active, à la recherche "d'une méthode moins impactante pour la nature". Partout, des empreintes de bottes. Nulle trace de tritons ou d'écureuils roux, espèces protégées du site.
Les militants écolos contre un "grand projet inutile"
L'aéroport du Grand Ouest ? "C'est un GPI. Un grand projet inutile", peste Ferdinand (*), 65 ans. Avec ses longues dreadlocks grises, ce Niortais a des dizaines d'années de lutte au compteur. Dans le Marais poitevin (Deux-Sèvres), il s'est battu des mois contre "la culture du maïs qui pourrit tout". A Notre-Dame-des-Landes, un petit groupe prévoirait d'inonder les 2 000 hectares de la zone, grâce aux sept sources qui cernent le site. Sa bombe nucléaire à lui : "Avec ça, impossible pour les militaires de passer."
D'autres militants écolos débarquent de bien plus loin. Avec sa barbe grise et son foulard rose sur la tête, Dieter a des faux-airs de père Noël. Ce sexagénaire arrive d'Hanovre (Allemagne), avec pour credo d'"attendre et prendre son temps pour combattre la violence physique et spirituelle". Décroissance et méditation. "Conscious and unconscious."
Contre le béton, la révolution
Dans l'un des rares abris en dur de la zone, on discute de l'avenir de la ZAD. Le visage creux, un gilet rouge sur le dos, un homme âgé prend des notes pendant la réunion. "N'oubliez pas qu'on nous regarde depuis l'Amérique du Sud, où des paysans se font voler leurs terres. Cette lutte contre un aéroport est facile, c'est du pain bénit. Mais elle est symbolique. A nous de faire la révolution. Ce n'est pas la terre qui est à nous, c'est nous qui sommes à la terre." Les grands projets bétonnés les écœurent. "Comme d'autres groupes multinationaux, [Vinci, le constructeur] concrétise les projets étatiques de quadrillage et de contrôle des sociétés", explique un tract. Les "zadistes" ont pour modèle le Larzac et Plogoff. A chaque génération sa lutte.
Dans ces conditions, l'Etat passe pour un traître. "C'est l'argent public qui paie les gendarmes ! Et c'est du détournement de fonds publics de les faire bosser pour une boîte privée", s'énerve David, un manteau kaki sur le dos, frappé du portrait du "Che". D'autres projets sont dans le viseur des "zadistes" : la ligne à grande vitesse Tours-Bordeaux, le projet nucléaire Iter de Cadarache (Bouches-du-Rhône), les mines d'uranium du Niger et l'autoroute Moscou-Saint-Pétersbourg. Un seul mot d'ordre : "ZAD partout !"
Libertaire, autogéré et anticapitaliste
Pour une grande partie des zadistes, le projet d'aéroport est l'occasion de défendre d'autres valeurs que l'écologie : altermondialisme, anticapitalisme et pensée libertaire. Le crâne rasé, une mèche dans la nuque, un Nantais porte deux palettes sur le dos. Ici, on l'appelle "Vague". "Pour ou contre l'aéroport, finalement je m'en fous, même si je suis plutôt anti. Mais c'est pour la vie collective, contre l'injustice que je suis ici. Aujourd'hui, les médias mentent, les politiques font de la propagande et la publicité est de plus en plus abrasive."
Sur place, les médias traditionnels sont donc bannis. Les "zadistes" préfèrent se plonger dans la lecture de Fakir, Partisan ou CQFD. Sur Radio Klaxon, la fréquence pirate, les animateurs lisent de longues tirades du penseur russe Mikhaïl Bakounine. On y parle de l'oppression et des barbares, "ceux qui ne parlent pas la langue de la polis [cité en grec]".
Certains se réclament du mouvement des Indignés, d'autres se désignent "anarchistes-autonomes". "L'idée, c'est de mettre en pratique nos idées au lieu de rester bêtement chez soi. L'argent n'a pas sa place sur la ZAD. Ici, les gens sont plus solidaires." Les politiques trouvent rarement grâce à leurs yeux. "Les gens votent comme des cons en France. Et de toute façon, ça n'a jamais rien changé", explique Thomas, un BTS de communication en poche, qui s'inquiète de l'effet des lacrymos sur ses lentilles. "Regarde les salaires des patrons. On devrait garder l'argent et le reverser à ceux qui en ont besoin."
"Ici, chacun vient pour des raisons différentes"
La ZAD draine son lot de désabusés, plus ou moins fatalistes. Un bonnet vissé sur la tête, des chaussures de montagne, Benjamin est géologue à Grenoble (Isère). De passage à Rennes (Ille-et-Vilaine), il a fait le crochet par Notre-Dame-des-Landes, "pour voir". Bientôt, il retournera travailler pour "faire gagner quelques points de PIB à la croissance. L'argent est le nerf de la guerre, y compris contre l’argent".
D'autres "zadistes" sont davantage en rupture. L'un vient d'obtenir le RSA après des mois de démarches : "400 euros par mois, pour la cause". Un autre vit le reste de l'année dans un squat de la région parisienne. Avec ses lunettes à grosses montures d'étudiant modèle, Damien jure un peu dans le décor. Il a passé un an au Luxembourg, dans une société financière allemande. "J'avais des collègues incultes, matérialistes et juste passionnés de voitures. Je considère que l'humanité est un parasite." Depuis deux semaines, il soigne sa misanthropie au milieu des arbres.
C'est sans compter le flot de curieux venus passer quelques jours. Etudiants, intérimaires, salariés ou chômeurs... Quelques promeneurs viennent filer un coup de main, apporter des vêtements ou du matériel. Ferdinand ne connaît pas tous leurs noms. Attablé sous le chapiteau de la cantine, son café refroidit dans un pot de yaourt. "Ici, tu sais, chacun vient pour des raisons différentes. Cet été, nous serons 200 000."
(*) Tous les prénoms ont été modifiés. Reportage réalisé sous couvert d'anonymat.
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