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Peut-on conserver son job lorsqu'on est député ?

Ils sont architecte ou chirurgien et continuent de travailler, en plus de leur mandat d'élu. Francetv info a rencontré des parlementaires qui exercent encore leur ancienne profession. Et d'autres qui y ont renoncé. 

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Après leur élection, certains députés conservent leur ancienne activité professionnelle. (JACQUES DEMARTHON / AFP)

C'est l'une des mesures voulues par François Hollande pour moraliser la vie politique. La liste des activités professionnelles interdites aux parlementaires sera revue, pour "prévenir tout conflit d'intérêts". Devant les députés mercredi 10 avril, le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a précisé la pensée présidentielle : "Il est inadmissible qu'un député soit aussi avocat d'affaires ou consultant."

Ces déclarations rappellent que l'ancienne vie professionnelle des parlementaires français ne s'arrête pas toujours avec leur élection. Qu'ils soient médecins, avocats, chefs d'entreprise ou agriculteurs, certains députés continuent de travailler, en parallèle avec leur activité parlementaire. Pourquoi font-ils ce choix ? Comment font-ils pour concilier les deux emplois du temps ? Quels problèmes cela peut-il poser ? Francetv info leur a posé la question.

Une assurance en cas de défaite électorale

Pour le député fraîchement élu, conserver une activité professionnelle est avant tout une assurance pour l'avenir. "Je n'ai pas hésité un instant. Quand nous épousons un mandat électif, nous sommes dans la précarité", explique à francetv info Daniel Boisserie, député PS de la Haute-Vienne, élu en 1997. "Je ne savais pas du tout si j'allais être réélu en 2002", poursuit le seul architecte de l'hémicycle.

Si la loi permet permet aux fonctionnaires et, dans la limite d'un seul mandat, aux salariés du privé de retrouver leur travail à la fin de leur mandat, ce n'est pas le cas pour les entrepreneurs, les agriculteurs ou les professions libérales comme celle d'architecte. "Un fonctionnaire retrouve sa place s'il est battu, mais ce n'est pas vrai pour celui qui exerce une profession libérale : il a perdu sa clientèle, il n'est plus député, il se retrouve sans rien !" rappelle à francetv info Lucien Degauchy, député UMP de l'Oise et horticulteur de profession.

Continuer son activité professionnelle permet de poursuivre le développement de son entreprise ou de garder la main. "Si on a exercé exclusivement le métier de député pendant cinq ans, on ne peut pas reprendre le métier de chirurgien", argumente Bernard Debré, député UMP de Paris et chirurgien, contacté par francetv info.

Enfin, certains se lancent dans une nouvelle activité afin de préparer leur reconversion après leur carrière politique. C'est le cas de Christophe Caresche, député PS de Paris, qui a exercé le métier d'avocat de 2009 à 2012. "Si on veut que député ne soit pas un métier, il faut quand même qu'il puisse y avoir des perspectives professionnelles. Dans mon cas, cela a joué. Je suis devenu avocat parce que je me suis posé la question de mon activité après la politique", explique-t-il à francetvinfo. Il a finalement préféré quitter le barreau, lassé par les soupçons et les critiques sur le mélange avocat-député.

Des emplois du temps difficiles à concilier

Entre les séances publiques, le travail en commission et en circonscription, l'emploi du temps d'un député est bien rempli. Où trouvent-ils le temps d'exercer leur (autre) activité professionnelle ? "J'opère en particulier le lundi parce qu'à l'Assemblée nationale, il n'y a pas grand-chose à faire ce jour-là, et je consulte le jeudi, détaille le député chirurgien Bernard Debré. Quand il y a des sujets qui ne sont pas de ma compétence, je n'assiste pas aux séances", précise-t-il.

Beaucoup jugent difficile de mener les deux activités de front. "On ne peut pas faire les deux à plein temps, il faut choisir", estime Lucien Degauchy. Horticulteur et maraîcher, il a rapidement cédé la place à son fils, tout en continuant à superviser le bon fonctionnement de l'affaire "deux à trois heures par jour" les premières années. Maire, conseiller général et président d'une communauté de communes, il se consacre aujourd'hui uniquement à ses activités d'élus.

Cadre supérieur dans un cabinet d'expertise économique, Eva Sas a préféré suspendre son contrat de travail. "Sur le principe, je trouve que c'est positif de ne pas couper les élus du monde professionnel, précise la députée écologiste de l'Essonne, contactée par francetv info. Dans la réalité, j'ai pensé que cela risquait de devenir un emploi fictif. Si on veut faire son travail de député, on n'a pas le temps matériel de travailler." 

Un constat partagé par le député architecte Daniel Boisserie. "Je ne pouvais pas travailler au cabinet, je me bornais le week-end à faire quelques esquisses quand j'avais dix minutes. J'ai connu une chute considérable de mes revenus, avec parfois un revenu négatif", raconte-t-il. Pour continuer de faire tourner un minimum son cabinet, il a embauché un collaborateur.

Le risque des conflits d'intérêts

Les nouvelles règles annoncées par le président de la République sont une réponse aux conflits d'intérêts de l'affaire Cahuzac. Au cours de sa carrière, l'ancien ministre du Budget a en effet jonglé entre les fonctions de conseiller ministériel au ministère de la Santé, consultant pour l'industrie pharmaceutique, député et chirurgien esthétique.

Un député peut-il voter un texte de loi concernant la profession qu'il exerce ou son entreprise ? Certains, comme le médecin Bernard Debré, le revendiquent. "Cela me permet d'apporter à l'Assemblée nationale le regard du terrain", se défend-il, tout en soulignant le faible pouvoir décisionnel d'un député. "Ce n'est pas monsieur Cahuzac en tant que député qui est soupçonné, c'est le conseiller du ministre de la Santé", observe-t-il.

D'autres refusent de voter une loi qui les concerne directement. "Je ne souhaite pas une république corporatiste. Je suis un élu rural, j'essaye de défendre la ruralité et non pas ma profession", affirme Daniel Boisserie, qui évite "par déontologie" de prendre part aux discussions touchant le métier d'architecte.

Dans les rangs de la majorité, beaucoup s'inquiètent, comme le président de l'Assemblée nationale Claude Bartolone dans cette note, que l'ajout de nouvelles professions incompatibles avec le mandat parlementaire ne nuisent à la représentativité de l'hémicycle. "Il n'y aura plus que des fonctionnaires à l'Assemblée nationale alors qu'il y en a déjà beaucoup", met en garde Christophe Caresche. Le député socialiste se montre circonspect sur l'application des annonces de l'exécutif. "Avocat d'affaires, cela ne veut pas dire grand-chose, c'est une profession qui n'existe pas", explique-t-il. Il milite pour "une réflexion plus subtile", avec par exemple l'obligation pour les élus de publier les revenus de leurs activités extra-parlementaires.

Eva Sas se méfie également d'une "conception trop extensive" du conflit d'intérêts. "Il faut évaluer la question de l'enrichissement. Ce n'est pas parce que vous avez un lien avec un secteur ou une activité qu'il y a conflit d'intérêts", explique-t-elle, assurant qu'elle ne tire aucun revenu des parts qu'elle possède dans le cabinet où elle travaillait. L'examen du projet de loi du gouvernement à l'Assemblée, prévu avant l'été, s'annonce animé.

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