Les députés qui souhaitent "abolir leurs privilèges" font-ils de la démagogie ?
Les élus de gauche et de droite qui se sont exprimés dans "Le Nouvel Observateur" se sont attiré les foudres de leurs confrères.
L'initiative est loin de faire l'unanimité. Dix députés de gauche et de droite ont publié, jeudi 20 juin, une tribune dans Le Nouvel Observateur intitulée "Abolissons nos privilèges !" Objectif : accélérer la moralisation de la vie politique en s'attaquant à des questions variées comme la rémunération des parlementaires, leur système de retraite ou encore la transparence sur leur patrimoine.
"La surenchère de démagogie est 'la maladie mortelle des démocraties'", a réagi le député UMP des Yvelines Henri Guaino, sur BFMTV. Même mot pour le porte-parole des députés centristes de l'UDI, Jean-Christophe Lagarde, qui évoque une "démagogie totale". Est-ce vraiment la bonne explication ?
1Non, parce qu'il y a des propositions techniques
Les députés frondeurs entendent répondre aux critiques d'une partie de la population française. En effet, sept Français sur dix ne font pas confiance aux responsables politiques, selon une étude réalisée en mars par Harris Interactive. "Il faut mettre fin à ces idées très répandues parmi les citoyens selon lesquelles les élus se font leur petit système", a argumenté François de Rugy, chef du groupe écologiste à l'Assemblée. "Il y a beaucoup de fantasmes mais aussi du populisme autour de la fonction de député", a déploré auprès du Lab Razzy Hammadi, député de Seine-Saint-Denis. L'élu du "9-3" a d'ailleurs choisi de se mettre en scène sur un miniblog intitulé "Vis ma vie de député" afin de montrer la réalité de ses conditions de travail.
C'est pour cette raison qu'il y a, parmi les propositions des députés, des projets de mesures sur les retraites des parlementaires ou leurs frais de mandat.
Mais il n'y a pas que des propositions grand public. François de Rugy demande, par exemple, une mise à plat sur la présence des groupes de pression au Palais Bourbon. "Le statut des lobbys présents à l'Assemblée nationale n'est pas clair (...). Il faut limiter leurs possibilités de déplacement en son sein et rendre publique la liste des lobbyistes autorisés à y pénétrer, préconise-t-il, inquiet du "risque évident de conflit d'intérêts pour les députés". Pour l'éditorialiste politique de France Inter, Thomas Legrand, la proposition défendue par l'écologiste n'est pas démagogique car elle est trop technique pour toucher le grand public.
2Non, parce qu'ils ont l'excuse de la jeunesse
La plupart des dix jeunes députés ont été élus pour la première fois en 2012. Thomas Legrand estime donc qu'il y a "peut-être un effet de génération". Selon lui, "ils vivent pour la première fois, et directement, ce regard accusateur porté sur eux". En effet, ces élus abordent des thèmes déjà traités par le passé, et actuellement en débat au Parlement. "Ils ont réveillé la colère de ceux qui considèrent que la course à la transparence et à l'intégrité est un parcours sans fin et qu'ils ont déjà donné", analyse Caroline Roux dans son édito politique, sur Europe 1.
Le député PS René Dosière, qui fait autorité dans la lutte contre les gaspillages d'Etat, y voit, lui, de la naïveté. "C'est du n'importe quoi. Cela témoigne d'une méconnaissance totale de la fonction parlementaire", a-t-il déclaré au Figaro. "C'est du poujadisme ignorant", écrit de son côté le groupe socialiste dans un communiqué de réponse à la tribune des députés.
Pourtant, ces idées rappellent l'initiative lancée en 1991 par François Hollande. Alors député PS de Corrèze, il avait mis en place un mouvement composé de jeunes "quadras". Avec notamment Ségolène Royal, ils avaient présenté un manifeste pour "changer la vie politique".
3Sauf que… ils cherchent "un coup de pub"
Laurent Wauquiez, député UMP de Haute-Loire, et Bruno Le Maire, député UMP de l'Eure, sont d'anciens ministres de Nicolas Sarkozy. Et ils ont une grande ambition : l'Elysée. Avec cette tribune, ils s'assurent médiatisation et invitation sur les plateaux. Ainsi, le premier "a fait le tour des télés, jusqu'au "Grand Journal" de Canal+, plateau champion de l''infotainment'", commente Le Nouvel Obs.
"Je commence à en avoir ras le bol de ces députés qui se font une réputation sur le dos des autres !, a lancé Claude Bartolone, rapporte Le Monde. Et d'ajouter : "Se faire un petit coup de pub sur ses collègues, ce n'est pas bien !" Eric Woerth, député UMP et ancien ministre du Budget, partage cet avis. Pour lui, l'action des dix jeunes députés est "une bonne manière de se faire de la publicité sur le dos des uns et des autres".
"Il n'y a pas d'appel signé, a rétorqué Razzy Hammadi. Moi je ne signe pas d'appel avec des gens de droite." En effet, la titraille du Nouvel Obs peut porter à confusion : il n'y a rien de collectif dans ces propositions. "Le prétendu appel n'est qu'une collecte de propositions disparates recueillies individuellement par le journaliste et qui n'a aucun caractère collectif", a souligné le PS. "Les 10 députés interrogés étaient au courant du procédé et savaient que la droite et la gauche seraient associées pour proposer des solutions", a précisé l'hebdomadaire.
"On s'est fait piéger", se sont défendus d'autres députés cités dans la tribune. Une ligne qui ne convainc pas la rue de Solférino. "C'est bizarre, c'est toujours les mêmes qui tombent dans les pièges, ceux qui aiment la lumière des caméras", a ironisé un responsable du PS sur France Info.
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